Haïti ne contribue pratiquement pas aux changements climatiques, mais le pays en mesure les conséquences au quotidien. Des saisons des pluies… sans pluie. Des récoltes perdues. Des exportations menacées. Et une population encore plus vulnérable.

Quand la pluie ne vient plus

Perches, Haïti — Elle arrive en retard, dure moins longtemps, mais est plus abondante. La pluie, qui rythme les saisons, en Haïti, témoigne de l’impact déjà très concret des changements climatiques.

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Anélus Nicolot, paysan de Perches, dans le nord-est d’Haïti, avec sa fille cadette Smyrlanca

« Avant, il ne se passait pas une semaine sans qu’il y ait de la pluie, mais maintenant, on peut passer trois, quatre mois sans pluie », lance Anélus Nicolot, en se frayant un chemin à travers la végétation luxuriante de son jardin.

Bananes, manioc, igname, ananas, gingembre, mangues et même quelques plants de café : l’homme de 52 ans entretient un « jardin créole » typique, un aménagement agroforestier qui regroupe plusieurs cultures sur une même parcelle.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

C’est le modèle prédominant en Haïti, où la majeure partie de la population rurale vit de l’agriculture de subsistance.

Si la saison démarre bien, en ce début de janvier, Anélus Nicolot se méfie des aléas du climat, de plus en plus déréglé, dans son pays.

  • Le marché de Perches, dans le nord-est d’Haïti. Les changements climatiques nuisent aux rendements agricoles depuis une dizaine d’années dans le pays, où la majorité de la population rurale vit de l’agriculture de subsistance, destinée à l’autosuffisance alimentaire et au commerce à petite échelle.

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    Le marché de Perches, dans le nord-est d’Haïti. Les changements climatiques nuisent aux rendements agricoles depuis une dizaine d’années dans le pays, où la majorité de la population rurale vit de l’agriculture de subsistance, destinée à l’autosuffisance alimentaire et au commerce à petite échelle.

  • Les environs de Perches, où l’on pratique l’agroforesterie. C’est le modèle prédominant dans le pays.

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    Les environs de Perches, où l’on pratique l’agroforesterie. C’est le modèle prédominant dans le pays.

  • Le jardin créole d’Anélus Nicolot. Il y cultive bananes, manioc, igname, ananas, gingembre, mangues et même quelques plants de café.

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    Le jardin créole d’Anélus Nicolot. Il y cultive bananes, manioc, igname, ananas, gingembre, mangues et même quelques plants de café.

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À Perches, une petite localité du Nord-Est haïtien, tous demeurent marqués par la grave sécheresse de 2019, quand il n’a pas plu de toute la saison des pluies.

« Une année de malheur », résume Fleurima Bertieu Antoinius, un autre paysan du coin, qui n’est pas près d’oublier la faim qui tenaillait les gens.

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Fleurima Bertieu Antoinius, au milieu des plants de manioc sur sa parcelle agroforestière à Perches, a abandonné certaines cultures trop vulnérables aux aléas du climat en raison des sécheresses des dernières années.

Haricots, canne à sucre, bananes : il a « tout perdu ».

Il a dû devenir tailleur dans ses temps libres et emprunter de l’argent pour traverser cette période difficile.

La sécheresse a également provoqué la mort de 3000 bovins dans le seul département du Nord-Est, souligne Erick Accilus, directeur départemental adjoint du ministère de l’Agriculture.

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Erick Accilus, directeur départemental adjoint du ministère de l’Agriculture d’Haïti, dans le département du Nord-Est

« C’était vraiment une catastrophe, affirme-t-il. Quand on perd les jardins et les récoltes, quand on perd les cultures, quand on perd les animaux, qu’est-ce qu’il reste pour vivre aux paysans ? »

Constats inquiétants

La sécheresse de 2019 a été particulièrement sévère, notamment dans le nord d’Haïti, mais elle n’était pas la première ; les deux années précédentes avaient aussi été arides.

« Il y a une réelle tendance à la baisse des précipitations, qui affecte l’agriculture », explique James Cadet, directeur aux changements climatiques au ministère de l’Environnement d’Haïti, que La Presse a interviewé à Port-au-Prince.

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James Cadet, directeur aux changements climatiques du ministère de l’Environnement d’Haïti

Ce changement du « régime pluviométrique » et son impact sur les ressources en eau du pays figurent parmi les principales préoccupations liées aux changements climatiques, avec la hausse du niveau de la mer, dans un pays où près du tiers de la population vit en zone côtière.

D’ici 2030, Haïti connaîtra une diminution de la pluviosité annuelle de 6 à 20 %, un décalage de la saisonnalité des pluies et une augmentation de la température de 0,8 à 1 °C, prévoyait en 2015 le gouvernement haïtien, dans sa plus récente communication à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dont il est partie.

Ces prévisions sont tirées d’une une étude du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de 2012, qui prévoyait également que la hausse du niveau moyen de la mer pourrait osciller de 0,5 à 0,7 mètre en 2031 et de 0,8 et 1,1 mètre en 2071.

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À Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, la zone urbaine s’arrête à un jet de pierre de l’océan. Près du tiers de la population haïtienne vit en zone côtière. La hausse du niveau de la mer inquiète donc beaucoup les experts.

Quelque 21 000 hectares (210 km2) de terres agricoles irriguées sont ainsi menacés, ce qui représente 7 % de la superficie totale dans le pays.

Cascade de conséquences

Cette variation de la pluviométrie et des températures favorise l’arrivée de nouveaux insectes ravageurs qui s’attaquent aux récoltes, explique le chercheur montréalo-haïtien Kénel Délusca, vice-président du groupe d’experts des pays les moins avancés de la CCNUCC.

Elle entraîne aussi une plus grande incidence de maladies comme la malaria, transmise par un moustique, l’anophèle, qui a besoin de conditions climatiques « chaudes et humides » pour vivre, explique-t-il.

Et c’est exactement ce qui se passe en Haïti avec les changements climatiques ; les conditions idéales pour la multiplication des insectes transmetteurs de la malaria se développent.

Kénel Délusca, chercheur

Même la production d’électricité souffre de la sécheresse, provoquant une baisse de la productivité des barrages hydroélectriques, qui plus est au moment où la demande est la plus élevée en raison de la chaleur, ajoute M. Délusca.

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Quartier populaire situé en face de l’aéroport de Cap-Haïtien, sur ce qui était auparavant une mangrove. L’augmentation des températures, la variation de la pluviométrie et les inondations causées par la hausse du niveau de la mer favorisent la prolifération des insectes vecteurs de maladies comme la malaria.

La mer se réchauffe aussi, davantage au sud qu’au nord, tempérée par la masse océanique de l’Atlantique, ce qui provoque le blanchiment des coraux et, à terme, leur mort.

« Beaucoup d’espèces de poissons font des coraux leur habitat de ponte, explique Kénel Délusca. Si l’habitat disparaît, la reproduction des poissons n’est pas assurée. »

Dans un pays où l’on pratique la pêche côtière, plutôt qu’en haute mer, la disparition des coraux a donc de lourdes conséquences.

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Des pêcheurs regagnent la terre ferme, à Cap-Haïtien.
En Haïti, on pratique une pêche côtière, plutôt qu’en haute mer. Les changements climatiques rendent encore plus vulnérable
cette activité déjà fortement touchée par la surpêche.

Amplification des désastres naturels

On constate également une « multiplication des cyclones » qui touchent Haïti, relève le professeur Anolex Raphaël, de l’Institut supérieur de l’environnement et de l’aménagement du territoire de l’Université d’État d’Haïti à Limonade.

Depuis 10 à 15 ans, la moyenne a grimpé à 70 cyclones par année, « ce qui est beaucoup plus que dans les années 1990 et 2000 », affirme-t-il.

Les sols deviennent plus arides, voire carrément « salés » dans les zones côtières sujettes aux inondations, observe-t-il, ce qui affecte les rendements agricoles à la baisse.

« Les gens qui habitent les milieux ruraux d’Haïti deviennent de plus en plus pauvres » avec les changements climatiques, constate Anolex Raphaël.

Ils sont ainsi poussés à augmenter la pression sur les ressources naturelles, comme en coupant la forêt pour en faire du charbon ou en se tournant massivement vers la pêche, ou encore à abandonner les campagnes pour aller gonfler les populations urbaines, notamment dans les bidonvilles.

Changer de cultures

Ceux qui pratiquent l’agriculture de subsistance ne peuvent pas se permettre d’attendre que le gouvernement mette en place des mesures d’adaptation ; les changements climatiques les ont déjà forcés à s’adapter.

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Marie-Hélène Saint-Preux sur l’une de ses parcelles à Perches. Les changements climatiques l’ont poussée à acheter de nouvelles terres près d’une rivière pour mieux faire face aux sécheresses plus fréquentes.

« Cette année, je n’ai pas planté de riz », explique Marie-Hélène Saint-Preux, mère de deux jeunes enfants, qui avait perdu sa récolte, en 2019, ainsi que celles d’arachides, de pistaches et de pois.

La femme de 42 ans, de Perches, a aussi carrément cessé de cultiver certaines de ses parcelles pour en acheter de nouvelles, plus près de la rivière, pour ses cultures maraîchères – elle a décidé de reboiser les autres, pour éventuellement en tirer du charbon.

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Marie-Hélène Saint-Preux parmi ses plants de malanga, une plante répandue dans les régions tropicales, dont les immenses feuilles et les racines sont comestibles

Elle a également mis à profit différentes techniques agricoles, notamment pour favoriser l’irrigation de ses parcelles, qu’elle a apprises dans le cadre du Programme d’innovation technologique en agriculture et agroforesterie (PITAG), auquel contribue le Centre d’études et de coopération internationale (CECI), une organisation non gouvernementale québécoise.

« Les changements climatiques continuent et on doit vivre avec, il faut continuer de s’adapter », explique Ronald Desamours, agronome au CECI, en Haïti.

Le programme accompagne les petits producteurs agricoles, comme ceux de Perches, en leur offrant de la formation, une assistance technique et de l’aide pour l’acquisition de semences, explique-t-il.

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Des paysans de Perches qui ont été formés pour faire face aux conséquences des changements climatiques sur leurs cultures.

Il propose aussi des solutions de remplacement aux paysans, comme l’introduction dans leurs jardins du gingembre, très populaire en ce moment pour ses vertus immunitaires, en remplacement d’autres cultures qu’ils ont abandonnées.

« Les planteurs l’apprécient beaucoup », note M. Desamours.

Mais en attendant des mesures d’adaptation à grande échelle, la qualité de vie des Haïtiens va encore diminuer dans les prochaines années, prévient le chercheur Kénel Délusca.

Les changements climatiques ont un effet multiplicateur sur les problèmes socioéconomiques qui existent déjà en Haïti ; ils vont empirer cette situation-là.

Kénel Délusca

Le chercheur, qui se dit optimiste de nature, s’avoue cette fois craintif en raison de la faiblesse des institutions haïtiennes.

« Je ne vois pas comment le pays va sortir de ce bourbier-là sans une gouvernance plus transparente, plus soucieuse de l’environnement. »

Ce reportage a été réalisé avec une bourse du Fonds québécois pour le journalisme international.

La Presse a compensé par l’achat de crédits carbone les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les déplacements aériens et terrestres liés à ce reportage.

D’autres impacts des changements climatiques

De l’eau salée dans les puits

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Un homme puise de l’eau dans le puits que partagent les résidants de cet immeuble de Cap-Haïtien. L’eau y est toutefois de plus en plus souvent salée, contaminée par l’eau de mer, lors des périodes de sécheresse qui se multiplient depuis une dizaine d’années.

Le réchauffement du climat accentue la contamination par l’eau de mer de nombreux puits du bas de la ville de Cap-Haïtien. Le phénomène augmente au même rythme que celui des sécheresses, durant lesquelles il se produit. Même s’il y a longtemps que plus personne ne boit l’eau des puits de la ville, leur contamination par l’eau salée demeure un problème dans la cité fondée en 1670 et toujours dépourvue d’eau courante. « Ça ne lave pas bien [les vêtements], ça n’écume pas », explique Orly Beausoleil, un résidant du secteur. Le phénomène affecte aussi certains puits d’irrigation agricoles.

Moins de poissons

  • Élipha Louis rentre de pêcher avec des hommes et des enfants de son quartier, avec qui il partage les revenus de leur maigre butin.

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    Élipha Louis rentre de pêcher avec des hommes et des enfants de son quartier, avec qui il partage les revenus de leur maigre butin.

  • Les prises du jour n’ont pas été très bonnes pour Élipha Louis et ses acolytes, qui n’ont rapporté que deux bacs de poissons et autres fruits de mer, dont deux homards si minuscules qu’il finit par les remettre à l’eau.

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    Les prises du jour n’ont pas été très bonnes pour Élipha Louis et ses acolytes, qui n’ont rapporté que deux bacs de poissons et autres fruits de mer, dont deux homards si minuscules qu’il finit par les remettre à l’eau.

  • Un charpentier fabrique une embarcation de pêche, sur la berge, à Cap-Haïtien.

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    Un charpentier fabrique une embarcation de pêche, sur la berge, à Cap-Haïtien.

  • La pêche n’est plus très bonne sur les côtes, déplorent les pêcheurs, qui blâment les changements climatiques. Mais la surpêche y est aussi pour beaucoup, nuancent les experts.

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    La pêche n’est plus très bonne sur les côtes, déplorent les pêcheurs, qui blâment les changements climatiques. Mais la surpêche y est aussi pour beaucoup, nuancent les experts.

  • Des pêcheurs à Cap-Haïtien

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    Des pêcheurs à Cap-Haïtien

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La pêche « était mieux avant », selon Élipha Louis, qui rentre d’un avant-midi de pêche dans la baie de Caracol. Avec une douzaine d’hommes et d’enfants de son quartier, il n’a rapporté que deux bacs de poissons et autres fruits de mer, dont deux homards si minuscules qu’il finit par les remettre à l’eau. Mais les changements climatiques n’expliquent pas tout, nuance le professeur Anolex Raphaël. S’ils nuisent bel et bien à certaines espèces, l’augmentation du nombre de pêcheurs et l’utilisation de matériel « archaïque », qui capte les petits poissons et nuit à leur reproduction, sont aussi en cause, dit-il : « C’est un désastre sur le plan écologique. »

Meilleure production de sel

  • Les marais salants de Caracol, aménagés sur la mangrove.

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    Les marais salants de Caracol, aménagés sur la mangrove.

  • Des pêcheurs traversent les marais salants pour retourner chez eux, après une sortie en mer.

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    Des pêcheurs traversent les marais salants pour retourner chez eux, après une sortie en mer.

  • Les exploitants des marais salants ne s’inquiètent pas des changements climatiques. Au contraire, la production de sel bénéficie de plus longues périodes de sécheresse et même d’une hausse du niveau de la mer.

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    Les exploitants des marais salants ne s’inquiètent pas des changements climatiques. Au contraire, la production de sel bénéficie de plus longues périodes de sécheresse et même d’une hausse du niveau de la mer.

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Les changements climatiques ne font pas le malheur de tout le monde ; dans les marais salants de la baie de Caracol, où l’on produit du sel durant la saison sèche, six mois par année, ils sont plutôt bien accueillis. Moins il pleut, plus la saison est longue et plus la production de sel est bonne, explique Joël Charles, qui possède l’un des 145 bassins aménagés sur la mangrove. Et plus la mer monte, mieux c’est pour lui : « Plus la marée est haute, plus le bassin reçoit d’eau, plus la production de sel sera élevée. »

Vulnérable et impuissant

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Cap-Haïtien, deuxième ville d’Haïti, sur la côte nord du pays. Un épais nuage de fumée causé par les feux de déchets, les véhicules en mauvais état et la cuisine au charbon enveloppe la ville.

Haïti est fortement touché par la crise climatique, mais il n’y contribue que bien peu, avec environ 0,3 % des émissions mondiales de GES.

C’est le « paradoxe » des changements climatiques, explique le chercheur montréalo-haïtien Kénel Délusca, vice-président du groupe d’experts des pays les moins avancés et rapporteur du groupe consultatif d’experts de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

« Les pays qui émettent le moins sont les pays en développement, qui ont une capacité de réponse très faible et dont l’économie dépend en grande partie des ressources naturelles, très liées au climat », explique-t-il.

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Kénel Délusca est vice-président du groupe d’experts des pays les moins avancés et rapporteur du groupe consultatif d’experts de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il est l’un des auteurs principaux du rapport spécial « Changement climatique et terres émergées » du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 2019. Il est aussi titulaire d’un postdoctorat en géographie physique de l’Université de Montréal.

L’Indice mondial des risques climatiques du centre de recherche Germanwatch place Haïti au troisième rang des pays qui ont le plus souffert du réchauffement de la planète au cours des deux dernières décennies.

Et les choses ne sont pas près de changer ; Haïti est toujours parmi les pays les plus vulnérables au réchauffement planétaire, estime l’Initiative mondiale sur l’adaptation de l’Université Notre Dame, en Indiana.

Les émissions d’Haïti s’élevaient à 7,8 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Mt éq. CO2) en 2000, année du plus récent inventaire officiel du pays, pour une population de 8,6 millions d’habitants à l’époque – un nouvel inventaire devrait être publié en mars prochain, affirme le gouvernement haïtien.

Elles atteindraient environ 10 Mt éq. CO2 en 2017, selon différentes estimations, dont celles du site de données ouvertes sur le climat, Climate Watch.

À titre de comparaison, les émissions de GES du Québec se sont élevées à 80,6 Mt éq. CO2 en 2018, pour une population de 8,4 millions d’habitants, selon le plus récent inventaire officiel du gouvernement québécois.

S’adapter à la nouvelle réalité

Même si Haïti s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 31 %, cela ne changera pas l’ampleur des conséquences du réchauffement planétaire sur le pays.

« La priorité, c’est au niveau de l’adaptation, pour réduire les impacts », explique Kénel Délusca, qui évoque la nécessaire combinaison de mesures de réduction de la pauvreté, de diversification des sources de revenus, d’éducation et, surtout, d’amélioration de la gouvernance.

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Une artère principale de Cap-Haïtien, près de l’océan. Un épais nuage de fumée enveloppe la ville.

Le gouvernement met d’ailleurs la touche finale à son « Plan national d’adaptation », qui précisera les priorités du pays, et qui devrait être prêt en mars, assure James Cadet, du ministère de l’Environnement d’Haïti.

Ce plan servira notamment de « tableau de bord » pour le gouvernement haïtien, mais aussi pour les bailleurs de fonds étrangers, explique-t-il, car il est « très clair » qu’Haïti n’a pas les moyens de le mettre en œuvre toute seule.

Le gouvernement haïtien évalue les coûts de la lutte contre les changements climatiques à 32,3 milliards de dollars canadiens, dont 21,1 milliards en mesures d’adaptation.

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James Cadet, directeur des changements climatiques du ministère de l’Environnement d’Haïti

Ce qu’il nous faut, c’est des moyens ; les technologies adéquates, les compétences nécessaires.

James Cadet, directeur des changements climatiques au ministère de l’Environnement d’Haïti

La direction des changements climatiques du ministère de l’Environnement, qu’il dirige depuis 2017, ne dispose que d’une vingtaine de personnes.

« L’État haïtien est impuissant », se désole le professeur Anolex Raphaël, de l’Institut supérieur de l’environnement et de l’aménagement du territoire de l’Université d’État d’Haïti, au campus de Limonade, près de Cap-Haïtien.

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Anolex Raphaël, professeur à l’Institut supérieur de l’environnement et de l’aménagement du territoire de l’Université d’État d’Haïti

Il regrette que « rien [ne soit] fait, de manière concrète » pour lutter contre les changements climatiques, outre la sensibilisation.

Pendant que les récoltes diminuent en Haïti, le taux d’importation d’aliments provenant de la République dominicaine voisine, lui, augmente, explique M. Raphaël.

« Ce n’est pas ça, l’adaptation », tonne-t-il.

Ce reportage a été réalisé avec une bourse du Fonds québécois pour le journalisme international.

La Presse a compensé par l’achat de crédits carbone les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les déplacements aériens et terrestres liés à ce reportage.

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Photo aérienne du futur barrage de Grand Bassin, une initiative du gouvernement haïtien

De l’eau pour le Nord-Est

L’État haïtien construit un barrage sur la rivière Marion, à Grand Bassin, pour irriguer 10 000 hectares (100 km2) de terres dans cette région du nord-est du pays durement éprouvée par les sécheresses des dernières années, dont celle de 2019. Doté d’un réservoir de 10 millions de mètres cubes et d’une microcentrale électrique d’une puissance de 1 mégawatt, le barrage servira aussi à fournir de l’électricité et de l’eau potable à la population de la région. La livraison de l’ouvrage, dont la construction a commencé en 2018, a toutefois été reportée plusieurs fois, rapportent les médias haïtiens.

Le café en voie de disparition

Sainte-Suzanne, Haïti — Il a contribué à faire la richesse et la fierté d’Haïti, jadis. Mais le café y est aujourd’hui en voie de disparition. Les changements climatiques s’ajoutent aux causes de cette extinction en cours et pourraient bien planter le dernier clou dans le cercueil du café haïtien.

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Christian Félix Alain, porte-parole de la Fédération des coopératives caféières et agroforestières du Nord-Est

Quelques minutes après avoir traversé la petite ville de Trou-du-Nord, la plaine agricole fait soudainement place aux montagnes.

Une petite route abrupte et sinueuse permet de les gravir et, au détour d’une courbe, d’apercevoir la mer, à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau.

Des tonnes et des tonnes de café ont longtemps été produites dans ces montagnes du nord-est d’Haïti, l’une des grandes zones caféières du pays, mais les choses ont changé radicalement depuis une dizaine d’années.

  • Jacques Antoine, un producteur de café de Sainte-Suzanne, montre un plan d’une nouvelle variété de café, le Caturra, qui remplace progressivement les cultures traditionnelles d’arabica typica,
une variété plus vulnérable aux changements climatiques.

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    Jacques Antoine, un producteur de café de Sainte-Suzanne, montre un plan d’une nouvelle variété de café, le Caturra, qui remplace progressivement les cultures traditionnelles d’arabica typica,
une variété plus vulnérable aux changements climatiques.

  • Une plantation de café à Sainte-Suzanne, dans le nord-est d’Haïti

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    Une plantation de café à Sainte-Suzanne, dans le nord-est d’Haïti

  • La région de Sainte-Suzanne, dans le nord-est d’Haïti,
vivait autrefois largement de la production de café.

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    La région de Sainte-Suzanne, dans le nord-est d’Haïti,
vivait autrefois largement de la production de café.

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« On ne va pas revenir à la bonne époque où le café produisait beaucoup », tranche à regret Christian Félix Alain, responsable des relations publiques de la Fédération des coopératives caféières et agroforestières du Nord-Est.

Le manque d’eau, la multiplication des ravageurs et la baisse de production qui en découle ont découragé bien des producteurs, qui abandonnent le café ou introduisent la culture maraîchère dans leurs plantations.

« Le café perd de son importance », constate Christian Félix Alain, qui travaille également à la Coopérative caféière et agroforestière de Sainte-Suzanne.

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Jean Fragilus Alcimé cultive le café depuis plus de 40 ans à Sainte-Suzanne.

Jean Fragilus Alcimé, l’un des doyens de la coopérative, est bien placé pour constater l’impact de l’évolution du climat sur la production de café ; l’homme de 70 ans en cultive depuis 1978.

Des plants, il en a perdu beaucoup dans les dernières années.

« La sécheresse fait mourir le café », affirme-t-il, catégorique.

Mais il ne baisse pas les bras et se dit même optimiste pour l’avenir, avec la confiance d’un homme qui n’en est pas à sa première épreuve.

« La vie, c’est des problèmes, philosophe-t-il. Surtout en Haïti. »

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Des cerises de café Caturra, qui remplace progressivement les cultures d’arabica typica.

La perte d’un joyau

La production de café a diminué de plus de 50 % depuis 2010 dans le nord-est d’Haïti, explique Max Joseph Junior, coordonnateur des programmes de l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM), un organisme qui aide les coopératives de producteurs de café.

C’est notamment parce que l’arabica typica, cultivé en Haïti depuis plus de 100 ans, « n’a pas su résister aux changements climatiques », explique-t-il.

Il est plus vulnérable aux maladies comme la cercosporiose et la rouille, et doit aussi affronter le scolyte, un insecte ravageur qui affecte pratiquement toutes les productions du monde, particulièrement à faible altitude.

Face à ces menaces, qui gagnent en importance depuis le début des années 2000, selon M. Joseph, de nouvelles variétés de café sont introduites en Haïti, comme le Caturra ou le Blue Mountain, mais cette introduction se fait à contrecœur.

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Max Joseph Junior, coordonnateur des programmes de l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM), un organisme qui aide les coopératives de producteurs de café.

L’arabica typica, c’est notre identité en Haïti. […] Son goût spécial, sa saveur, c’est grâce à ça qu’on nous connaît sur le marché.

Max Joseph Junior, coordonnateur de l’IRATAM

Cercle vicieux

La diminution radicale de la production a créé un cercle vicieux, pour les producteurs de Sainte-Suzanne.

« On ne se donne même plus la peine de dépulper le café », se désole Max Joseph Junior, expliquant que ce procédé, qui donne le « café lavé », n’était plus rentable avec une faible production.

C’est pourtant le café lavé, fermenté dans l’eau, qui a une plus grande valeur sur le marché, puisqu’il est de meilleure qualité que le « café coque » qui, lui, est séché au soleil, dans sa membrane.

La coopérative de Sainte-Suzanne a d’ailleurs du mal à écouler sa production ; il lui reste encore des milliers de livres des récoltes de 2018 et 2019.

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Les producteurs de café de Sainte-Suzanne ont cessé de faire du café lavé en raison des changements climatiques et ont maintenant du mal à écouler leur « café coque ».

D’exportateur à importateur

Le déclin du café est si avancé en Haïti que les deux torréfacteurs du pays ont dû commencer à en importer, en 2016, une nouvelle qui a eu l’effet d’une gifle dans un pays qui en fut jadis le premier producteur mondial.

« Le café haïtien a connu son apogée sous la colonie [française] en 1790 lorsque Saint-Domingue s’est hissée au rang de premier pays exportateur mondial », rappelle l’Institut national du café d’Haïti.

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En ce début de saison, Jacques Antoine, un producteur
de café de Sainte-Suzanne, procède à l’éclaircissement
d’une de ses parcelles.

Les changements climatiques pourraient bien être le coup de grâce du café haïtien, déjà malmené par le vieillissement des plantations, le sous-financement, les catastrophes naturelles et les crises.

« D’ici 2050, on ne pourra plus cultiver le café à moins de 1300 mètres d’altitude en Haïti », souligne Max Joseph Junior, citant une étude du Centre international pour l’agriculture.

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Aurilaire Guerrier, gérant de la Coopérative caféière et agroforestière de Sainte-Suzanne

Puisque les cultures haïtiennes se situent entre 400 mètres et 1700 mètres d’altitude, nombre d’entre elles sont donc menacées.

Max Joseph Junior fait un sombre pronostic : « On va importer le café comme on importe le riz. »

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Ce reportage a été réalisé avec une bourse du Fonds québécois pour le journalisme international.

La Presse a compensé par l’achat de crédits carbone les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les déplacements aériens et terrestres liés à ce reportage.