(Washington) Un détenu pakistanais de la prison militaire de Guantanamo a détaillé les tortures qu’il a subies pendant trois ans aux mains de la CIA, lors de son procès devant un tribunal militaire qui l’a condamné vendredi à 26 ans de détention.

Ancien messager d’Al-Qaïda, Majid Khan, 41 ans, n’a épargné aucun détail aux juges militaires lorsqu’il leur a raconté jeudi avoir été battu, agressé sexuellement et soumis à des noyades simulées après sa capture au Pakistan en 2003.

Une enquête du Sénat américain sur l’usage de la torture par la CIA après les attentats du 11 septembre 2001 corrobore son témoignage, mais il est le premier détenu à raconter publiquement ses tortures aux mains de l’agence de renseignement américaine.

Dans une lettre de 39 pages lue à l’audience, Majid Khan, qui a grandi au Pakistan avant d’émigrer aux États-Unis avec sa famille, a raconté avoir été suspendu par des chaînes pendant plusieurs jours d’affilée, nu et sans manger, dans des cellules sans fenêtre de prisons secrètes de la CIA dans des pays non identifiés.

Ballotté entre 2003 et 2006 entre plusieurs sites secrets, il a décrit des interrogatoires brutaux, plongé le visage cagoulé dans des bains d’eau glacée, la tête maintenue sous l’eau jusqu’à ce qu’il parle.

« Ils me frappaient jusqu’à ce que je les supplie d’arrêter. Le pire, c’était de ne pas savoir quand les coups allaient venir ni d’où ils partiraient ».  

Lavements forcés

Ses interrogateurs menaçaient de s’en prendre à sa famille aux États-Unis et de violer sa sœur. Ses lunettes, sans lesquelles il se dit quasiment aveugle, ont été cassées. « J’ai dû attendre trois ans avant d’en recevoir une nouvelle paire ».

Plusieurs nuits de privation de sommeil l’ont laissé hébété. « Je me rappelle avoir eu des hallucinations, voir une vache et un lézard géant. J’avais perdu tout contact avec la réalité. »

Il a subi des lavements forcés entre deux interrogatoires et a été nourri de force par une sonde anale lorsqu’il était en grève de la faim, ce qui lui a laissé des séquelles permanentes.

Un tuyau d’arrosage lui a été introduit dans l’anus, pour le réhydrater, lui a-t-on dit. « J’ai été violé par des médecins de la CIA. Alors que j’étais ligoté, ils ont introduit des tubes et des objets dans mon anus. »

Majid Khan, qui avait été recruté par des membres de sa famille appartenant à Al-Qaïda pendant une visite au Pakistan, était pourtant passé aux aveux quelques jours après sa capture le 5 mars 2003 à Karachi.

Il avait reconnu avoir participé à une tentative d’assassinat du président pakistanais et avoir remis 50 000 dollars à des membres d’Al-Qaïda en Indonésie, une somme qui avait financé un attentat contre un hôtel.

« Chaque fois que j’étais torturé, je leur disais ce que je pensais qu’ils voulaient entendre. Je mentais pour que les violences s’arrêtent », a-t-il raconté. Mais « plus je coopérais et je parlais, plus j’étais torturé ».

« Je pardonne »

« Les mots forts de Majid […] révèlent les atrocités dévastatrices commises par notre propre gouvernement au nom de notre sécurité nationale », a déclaré une de ses avocates, Katya Jestin.

« Le programme de la CIA a été un échec, et il était contraire à nos principes démocratiques et à l’État de droit », a-t-elle ajouté.

Majid Khan était arrivé à l’âge de 16 ans à Baltimore, à 50 km de Washington, où il a appris l’anglais dans la station-service de son père avant de poursuivre sa scolarité dans un collège local.  

Il a obtenu le droit de raconter publiquement les traitements qu’il a subis lorsqu’il a plaidé coupable en 2012. Il a regretté ses actes.

« Cela fait près de 20 ans que je suis détenu et maintenu à l’isolement, j’ai payé cher », a-t-il dit. « Je rejette Al-Qaïda, je rejette le terrorisme ».

Mais il a assuré au tribunal qu’il n’en voulait pas à ceux qui l’ont torturé.

« Je serai en paix quand je me serai pardonné et quand j’aurai pardonné aux autres le mal qu’ils m’ont fait », a-t-il assuré. « À ceux qui m’ont torturé : je vous pardonne. Tous ».

Le jury l’a condamné à 26 ans de détention, selon un porte-parole du tribunal militaire.  

Mais compte tenu d’un accord passé avec le juge lorsqu’il a plaidé coupable, il pourrait être libéré l’an prochain.