Les autorités ont déployé des milliers de policiers et de troupes spéciales dans l’île, lundi, alors qu’au moins 80 personnes arrêtées dans des manifestations la veille manquaient toujours à l’appel.

80 personnes disparues

Des milliers de policiers et de troupes spéciales ont été déployés lundi dans les principales villes de Cuba, dans la foulée des manifestations spontanées visant à exprimer un ras-le-bol vis-à-vis du gouvernement. Au moins 80 personnes arrêtées manquaient à l’appel. Parmi elles se trouvaient des dissidents et des militants des droits civils, dont l’artiste visuel Luis Manuel Otero et le poète Amaury Pacheco. Des organisations des droits de la personne étaient aussi sans nouvelles de José Daniel Ferrer, le chef du groupe d’opposition le plus important de Cuba, et de son fils Danielito. Dimanche soir, des médias ont aussi rapporté la présence de la brigade des « Guêpes noires » dans les rues, qui sont des troupes spéciales fortement armées faisant partie des Forces armées révolutionnaires cubaines. La station de nouvelles américaine Noticias Telemundo a dit savoir que les Guêpes noires avaient violemment arrêté certains des manifestants qui manquaient toujours à l’appel. La couverture internet était interrompue dans une grande parie de l’île lundi, ont aussi dit plusieurs journalistes internationaux. « Je peux confirmer qu’il y a des manifestations [lundi] partout à Cuba, mais malheureusement pas autant d’images circulent depuis que l’État a coupé une grande partie de l’accès à l’internet », a signalé un usager Twitter du nom de Comandante Shinji qui a diffusé des dizaines de photos et de vidéos des manifestations à Cuba depuis dimanche.

PHOTO ELIANA APONTE, ASSOCIATED PRESS

Véhicule de police dans les rues de la vieille Havane, lundi

Criminaliser l’action collective

Comme plusieurs observateurs, Ricardo Peñafiel, professeur associé au département de sciences politiques de l’UQAM et membre fondateur du Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine (GRIPAL), dit être « surpris » par le soulèvement auquel on assiste depuis dimanche à Cuba. « Je pense que les gens se soulèvent pour exprimer leur ras-le-bol des manques, des pénuries, des queues interminables sans nécessairement remettre en question le régime au complet, dit-il. C’est une manière de demander que la situation change, et le danger ici est de criminaliser l’action collective. » À première vue, les manifestants ne semblent pas faire partie d’un mouvement organisé, dit-il, notant que le gouvernement cubain a appelé ses supporters à descendre dans la rue, ce qui a historiquement été utilisé pour faire contrepoids aux manifestants qui critiquent le régime. « Avec la structure des syndicats et du Parti communiste à Cuba, faire sortir un demi-million de personnes dans la rue, ce n’est pas compliqué. La structure est déjà organisée », illustre-t-il.

PHOTO YAMIL LAGE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestant arrêté devant l’édifice du Capitole, dimanche

Flambée de COVID-19

La question de l’épidémie de la COVID-19 était aussi présente : les autorités sanitaires de Cuba ont rapporté près de 7000 nouveaux cas d’infection le 11 juillet, soit plus de quatre fois la moyenne quotidienne enregistrée le mois dernier. Quarante-sept décès ont aussi été rapportés ce jour-là. Des observateurs ont fait état de pénuries de médicaments, de lits d’hôpital et de vaccins à Cuba. L’épicentre de l’épidémie de la COVID-19 est situé à Varadero, ville connue pour sa station balnéaire, où des gens ont dit sur les médias sociaux que les hôpitaux n’acceptaient plus de nouveaux patients, qui souvent mouraient à la maison, faute de soins.

PHOTO YAMIL LAGE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestants à La Havane, dimanche

« Que cherchent-ils ? »

Le président cubain Miguel Díaz-Canel a accusé lundi le gouvernement américain d’être à l’origine des manifestations historiques survenues la veille, tandis que Washington et l’Union européenne appelaient au calme. Dans un échange avec quelques journalistes cubains retransmis à la télévision et à la radio, le dirigeant communiste a assuré que son gouvernement essaie d’« affronter et de vaincre » les difficultés face aux sanctions américaines, renforcées depuis le mandat du président américain Donald Trump. « Que cherchent-ils ? Provoquer des troubles sociaux, provoquer des incompréhensions » chez les Cubains, mais aussi « le fameux changement de régime », a dénoncé le président cubain. Le secrétaire d’État Antony Blinken a, lui, estimé lundi que le président cubain commettrait une « grave erreur » en attribuant aux États-Unis la responsabilité des manifestations. « Ils restent tout simplement sourds à la voix et à la volonté du peuple cubain », a poursuivi M. Blinken, estimant que les manifestations visaient la « mauvaise gestion » de la pandémie et de l’économie par le gouvernement de Cuba. La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a affirmé de son côté que « l’embargo américain permet le passage de l’aide humanitaire ».

– Avec les informations de l’Agence France-Presse

PHOTO YAMIL LAGE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestants à La Havane, dimanche

6923

C’est le nombre quotidien de nouvelles infections à la COVID-19 rapporté le 11 juillet à Cuba, un sommet depuis le début de la pandémie.

11 %

Ampleur de la contraction économique vécue à Cuba l’an dernier. L’île est affectée par la pandémie de COVID-19 qui a mis un frein à l’industrie du tourisme, en plus de plomber les versements envoyés par les Cubains vivant à l’étranger.

Ils nous affament à mort. La Havane est en train de s’écrouler. Nous n’avons pas de maisons, nous n’avons rien. Mais [le gouvernement] a de l’argent pour bâtir des hôtels pendant qu’il nous laisse mourir de faim.

Un jeune protestataire anonyme, dans une vidéo partagée par la BBC

Regardez la vidéo des manifestations (en anglais)