(Port-au-Prince) Les conjectures sur l’assassinat de Jovenel Moïse allaient bon train dimanche, en Haïti, alors que les plus variées continuaient d’animer bon nombre de tribunes et de débats pour trouver la personne ayant commandité le crime.

« On dirait que ce coup a été fait par des Haïtiens », a confié Gérald, 40 ans, rencontré avant l’annonce de l’arrestation du Dr Christian Emmanuel Sanon. Dans son petit commerce du marché Salomon, l’un des plus importants de Port-au-Prince, tuyaux, produits pour plancher et lunettes de toilette neuves s’empilent jusqu’au plafond dans sa boutique d’articles de quincaillerie.

« Toutes les radios, même sur l’internet, les gens ont tous leurs théories. On est tourmentés, on n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé exactement. »

Un groupe de 17 mercenaires colombiens ainsi que deux Américains d’origine haïtienne ont été arrêtés dans cette affaire, a rapporté la police. Le commando est accusé de s’être introduit par la force dans la résidence du président dans la nuit de mardi à mercredi pour l’assassiner. Aucune preuve rendue publique jusqu’ici ne laisse croire que les commanditaires de l’opération sont également connus. « La police est déterminée et va avancer à pas sûrs pour l’arrestation des auteurs intellectuels », a promis le directeur de la police nationale haïtienne lors de la conférence de presse de dimanche.

Une seule personne a tout vu : c’est Martine.

Gérald, 40 ans, copropriétaire d’une quincaillerie de Port-au-Prince

Martine Moïse, la femme du président assassiné, était sur place dans la résidence familiale lors de l’attaque. Elle a été blessée par balle et transportée d’urgence à l’hôpital en Haïti, puis en Floride, où elle serait dans un état stable. Elle a subi une opération durant la fin de semaine.

Port-au-Prince recommence à vivre

Dimanche matin, l’une des plus grandes stations de bus interurbains de la ville, Portail Léogâne, était bondée, alors qu’elle était déserte une bonne partie de la semaine. La veille, c’est le marché Salomon, où travaille Gérald, qui a rouvert après trois jours de calme plat.

Le marché ici ne ferme jamais. Même après les coups d’État, le marché ne fermait pas.

Gérald, copropriétaire d’une quincaillerie de Port-au-Prince

Le choc est toujours grand chez la population, mais les bureaux devraient rouvrir ce lundi matin, tout comme les banques, si la situation reste calme.

« Qu’on soit pour ou contre le pouvoir, on ne voulait pas voir Jovenel Moïse mourir, raconte Gérald. Je crois qu’il n’était pas fantastique [comme président], mais ça m’a quand même beaucoup touché de le savoir assassiné. On a le même sang, après tout. »

Relancer l’économie

Des tractations politiques ont animé les hautes sphères de Port-au-Prince toute la fin de semaine. La recherche d’un président intérimaire ou d’une formule de gestion de l’État est débattue dans de nombreux cercles et coalitions regroupant de nombreux partis et groupes de la société civile pour proposer la feuille de route la plus consensuelle possible.

Gérald est bien loin de tout ça. Il ne croit plus aux promesses des hommes politiques. Il regarde les passants devant son commerce.

Seul le Bon Dieu nous protège.

Gérald, copropriétaire d’une quincaillerie de Port-au-Prince

« Il n’y a rien qui va se vendre aujourd’hui », se désole-t-il, puisqu’il n’y a presque plus de chantiers en cours dans le pays depuis plusieurs semaines. Une pénurie d’essence et des conflits entre groupes criminels armés avaient bloqué la ville depuis le 1er juin, avant l’assassinat.

« C’est parce qu’on est un peuple réfléchi, sage, que les choses restent calmes dans les rues [après l’assassinat et malgré la grave crise économique], explique-t-il. Si quelqu’un a 50 centimes, il va les partager avec les autres. C’est ça seulement qui nous permet de survivre. 

« Même les pays qui disent être nos amis, ils nous ont laissé tomber. »