Malgré l’appel du premier ministre intérimaire d’Haïti, Claude Joseph, qui a demandé la reprise des activités normales, la population, inquiète et ne sachant pas à quoi s’en tenir, évite de sortir, témoignent des Haïtiens vivant au Québec.

« Les gens ne sont pas sortis depuis la mort de Jovenel Moïse », illustre Jean Emmanuel Pierre, directeur de l’information à la radio montréalaise CPAM, qui parle à des membres de sa famille en Haïti tous les jours. « L’insécurité, l’omniprésence des gangs, ça ne s’est pas calmé avec la mort de Jovenel Moïse. Les gens savent que les rues sont encore moins sûres. »

« Dans la perception des gens au pays, c’est comme un calme qui ne présage rien de bon. Ce n’est pas normal, c’est comme si on était dans l’expectative d’on ne sait quoi », relate Chantal Ismé, qui a communiqué avec sa famille à Port-au-Prince cette semaine.

Les gens ont tellement peur qu’ils n’osent pas sortir pour aller s’approvisionner.

Chantal Ismé

« On sort si on est obligé, mais dans le cas contraire, les gens restent chez eux », résume Walner Osna, de Gatineau, qui parle à ses parents à Port-au-Prince presque quotidiennement. « Probablement que c’est ce qui explique aussi qu’il n’y a pas de manifestations alors qu’on sait que ces dernières années, il y avait beaucoup de mobilisations populaires », souligne ce doctorant en études sociologiques et anthropologiques à l’Université d’Ottawa, dont les recherches portent sur les mouvements populaires haïtiens contemporains. Les nombreuses incertitudes entourant l’assassinat du président dans la nuit de mardi à mercredi renforcent le climat de peur, souligne-t-il.

Les explications données jusqu’ici ne convainquent personne, témoigne aussi Mme Ismé. « Il y a eu tellement d’assassinats, de massacres et à ce jour, on n’a jamais eu de réponse. Et puis d’un coup, la police nationale s’est réveillée et est devenue très experte », ironise-t-elle.

Des suspects sous la loupe

Jeudi, la police haïtienne avait déjà annoncé l’arrestation de 15 Colombiens et deux Américains d’origine haïtienne, et affirmé que l’assassinat avait été perpétré par un commando armé de 28 assaillants.

Au moins 17 ex-militaires colombiens sont soupçonnés d’être impliqués, ont fait savoir les autorités colombiennes vendredi.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Des suspects dans l’assassinat du président haïtien Jovenel Moise ont été présentés aux médias par les autorités haïtiennes à Port-au-Prince, jeudi.

« Deux […] qui ont péri dans l’opération de la police [haïtienne] et 15 Colombiens dont nous sommes en train de vérifier l’activité […] auraient appartenu à l’armée nationale », a déclaré le chef de la police colombienne, le général Jorge Luis Vargas, en conférence de presse à Bogotá.

Les suspects se sont désengagés entre 2018 et 2020. Deux d’entre eux ont transité par Panamá et Saint-Domingue, les autres par la République dominicaine, ont indiqué les autorités colombiennes, en ajoutant que quatre entreprises avaient été impliquées dans le recrutement.

Le président colombien Iván Duque a annoncé l’envoi d’une mission de renseignement en Haïti pour aider à faire la lumière.

Des responsables du FBI et du département de la Sécurité intérieure seront envoyés en Haïti « aussitôt que possible pour évaluer la situation et la manière d’aider », a fait savoir la Maison-Blanche.

Taiwan, de son côté, a annoncé que 11 suspects recherchés dans l’enquête avaient été interpellés par la police haïtienne dans le périmètre de son ambassade à Port-au-Prince, où ils étaient entrés par effraction.

PHOTO VALERIE BAERISWYL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers patrouillent près de l’ambassade de Taiwan à Port-au-Prince, où des suspects sont entrés par effraction vendredi.

Le coordinateur de la sécurité et les agents de sécurité rapprochée du président, ainsi que le responsable de l’Unité de sécurité générale du Palais national, pourront être auditionnés, a confié le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, MBed-Ford Claude, au quotidien haïtien Le Nouvelliste.

Selon le juge de paix suppléant Clément Noël, également cité par Le Nouvelliste, deux des mercenaires, James Solages et Joseph Vincent, ont affirmé être les interprètes d’une mission qui avait pour but d’arrêter le président Jovenel Moïse, et non de le tuer.

Une occasion

« C’est de l’inquiétude et de la peur, mais ça peut aussi déboucher sur une opportunité », fait valoir M. Osna. Il souhaite « que le pays, la nation haïtienne puisse souverainement mettre en place un gouvernement de transition » qui soit en rupture par rapport « au mode de gouvernance du pays, aux crimes financiers, à la corruption, au démantèlement des institutions ». « C’est vraiment un gros chantier », admet-il.

En Haïti, la réouverture de l’aéroport international, des marchés, des banques et des stations-service était signalée vendredi.

À Montréal, une veillée de solidarité avec le peuple haïtien est prévue lundi prochain à 16 h devant le consulat de la République d’Haïti. « J’ai des gens qui ont besoin de se rassembler pour se soutenir », explique l’organisatrice, Marie Dimanche.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press