(La Havane) Une dizaine de jeunes artistes cubains, retranchés depuis dix jours dans une maison et armés de téléphones et d’internet pour exiger la libération d’un des leurs, ont dénoncé jeudi soir leur expulsion violente par les forces de l’ordre.

« Urgent, des agents de la dictature ont fait irruption dans nos locaux, ont frappé sauvagement nos compagnons, les ont emmenés avec eux et nous ne savons pas où ils se trouvent », a annoncé le Mouvement San Isidro, collectif d’artistes, d’universitaires et de journalistes, sur Twitter.

« Nous craignons pour leur intégrité physique », a-t-il ajouté.

Sur le même réseau social, la directrice d’Amnistie internationale pour les Amériques, Erika Guevara-Rosas, a dénoncé l’expulsion : « Nous exigeons leur libération et le respect des droits de l’homme ».

Quelques heures plus tard, la majorité des personnes interpellées ont fait savoir sur les réseaux sociaux qu’elles avaient été relâchées.

De son côté, le site progouvernement Razones de Cuba a assuré que « les autorités sanitaires cubaines » avaient agi en raison de « la violation du protocole de santé pour les voyageurs internationaux », en référence à l’entrée mardi dans les lieux du journaliste et écrivain cubain Carlos Manuel Alvarez, collaborateur du Washington Post et du New York Times.

Ce dernier, qui venait des États-Unis, est accusé d’avoir donné une fausse adresse à son arrivée à l’aéroport de La Havane, empêchant son suivi sanitaire dans le cadre de la pandémie de coronavirus.

L’intervention des forces de l’ordre « a eu lieu en total respect de la légalité et sans violer les droits citoyens d’aucune des personnes impliquées, et répond au nécessaire intérêt de protéger la population cubaine de la transmission de la maladie », affirme le site.

Rappeur emprisonné

Jusque-là inconnu du grand public, le Mouvement San Isidro avait gagné ces derniers jours en notoriété, même au-delà des frontières, avec cette action amplement diffusée en ligne : 14 jeunes, membres ou sympathisants du mouvement, campaient depuis le 16 novembre dans une maison du centre historique de La Havane.

Ses deux meneurs, habitués à provoquer et tester les limites de la liberté d’expression, sont l’artiste Luis Manuel Otero Alcantara, 32 ans, et le rappeur Maykel Castillo dit Osorbo, 37 ans.

Avec cette action, accompagnée pour certains d’entre eux par une grève de la faim, ils voulaient dénoncer l’emprisonnement d’un de leurs membres, le rappeur Denis Solis, arrêté le 9 novembre et condamné à huit mois de prison pour « outrage » à l’autorité après avoir insulté un policier entré chez lui.

Jeudi dans la journée, plusieurs camions des forces de l’ordre et deux ambulances étaient postés près de leur local, avait constaté l’AFP.

Leur mouvement a suscité une rare unanimité entre les quatre principales organisations d’opposition, qui ont toutes apporté leur soutien : l’Union patriotique de Cuba (Unpacu), Cubadecide, le Rassemblement d’unité d’action démocratique et les Dames en blanc.

L’Agence cubaine du rap, organisme d’État, avait elle dénoncé une « grossière manipulation politique », tandis que le quotidien officiel Granma avait évoqué « une provocation orchestrée depuis Washington et Miami ».

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait pour sa part fustigé une « répression cruelle » et demandé de « libérer sans condition » le rappeur. Ce à quoi le ministre des Affaires étrangères Bruno Rodriguez avait répondu en lui disant de « s’abstenir de s’ingérer dans les affaires internes de Cuba ».