Par une cérémonie en grande pompe à l'image d'un chantier pharaonique, le Tadjikistan a inauguré vendredi un barrage ambitionnant de devenir le plus haut du monde, « vital » selon les autorités de ce pays pauvre d'Asie centrale mais démesuré pour ses détracteurs.

Lancé en grande pompe en octobre 2016 par le président Emomali Rakhmon, très attaché à ce projet de près de 4 milliards d'euros, le barrage de Rogoun doit atteindre 335 mètres de hauteur dans une dizaine d'années, soit 30 de plus que le barrage chinois de Jinping I, la plus haute construction du genre au monde.

Bien que l'ouvrage ne culmine actuellement qu'à 75 mètres, une cérémonie haute en couleur, au cours de laquelle des hommes en tenue traditionnelle et brandissant le drapeau national ont chanté « Rogoun est la lumière, Rogoun est la gloire », a ponctué dans les montagnes du Pamir la mise en service du premier des six générateurs qui composeront ce barrage.

C'est « un moment historique [...] qui sera écrit en lettres d'or dans l'Histoire pour cette génération et les suivantes », a déclaré le président Emomali Rakhmon dans son discours. « L'électricité de ce temple de lumière du Tadjikistan a commencé à pénétrer dans chaque maison des habitants du pays ».

Vice-président de la Banque mondiale pour l'Europe et l'Asie centrale, Cyril Muller a déclaré lors de la cérémonie que Rogoun « aidera à transformer l'économie du Tadjikistan et pose les bases d'un futur prospère ».

À terme, le barrage produira 3600 mégawatts, soit l'équivalent de trois réacteurs nucléaires de nouvelle génération. Cela doublera la production énergétique du pays de neuf millions d'habitants, qui prévoit désormais de vendre de l'électricité à l'Afghanistan ou au Pakistan.

Pour le Tadjikistan, qui souffre d'un déficit chronique d'alimentation en électricité et de coupures de courant l'hiver, le barrage de Rogoun est donc « vital », comme l'a répété de nombreuses fois M. Rakhmon.

Confié au groupe italien Salini Impregilo pour 3,9 milliards de dollars, il est situé à une centaine de kilomètres à l'est de la capitale Douchanbé.

Le barrage est devenu « un concept de consolidation nationale », explique à l'AFP le chercheur Abdougani Mamadazimov, rappelant que le pays peine à se relever d'une guerre civile de cinq ans qui fit 150 000 morts dans les années 1990.

Pas étonnant donc que certains aient proposé de baptiser le barrage du nom d'Emomali Rakhmon, accusé dans le passé de mégalomanie par ses détracteurs.  

Trop grand ?

Pourtant, les doutes fusent autour des réels besoins du Tadjikistan pour ce barrage. Le pays compte déjà à Nourek un des plus importants barrages de la planète, mis en service à l'époque soviétique, et certains experts craignent que les autorités aient vu trop grand.

Au pouvoir depuis 1992, le chef d'État de 66 ans avait déjà revendiqué en 2011 le « mât de drapeau le plus haut du monde » (165 mètres). Douchanbé se targue aussi d'accueillir la plus grande bibliothèque de la région, la plus grande maison de thé au monde et va bientôt accueillir le « plus grand et beau théâtre d'Asie Centrale », selon Emomali Rakhmon.

Pour démesurés qu'ils soient, ces projets ne présentaient aucun risque écologique. Mais Rogoun est situé « dans une zone sismique intense et plusieurs études ont averti des risques pour un bâtiment aussi grand qu'un barrage », a indiqué par courriel à l'AFP Filippo Menga, maître de conférence en géographie humaine à l'université de Reading (Grande-Bretagne).

Les risques géopolitiques du projet, dans une région où l'accès à l'eau est limité, ont en revanche diminué depuis la mort en 2016 du président ouzbek Islam Karimov. Celui-ci était un féroce opposant du barrage, l'Ouzbékistan, notamment son secteur agricole, dépendant de l'eau venant du Tadjikistan.

La menace était grande, l'Ouzbékistan étant plus peuplé et puissant militairement que le Tadjikistan, mais le successeur d'Islam Karimov, Chavkat Mirzioïev, s'est rapproché de son voisin tadjik et a entamé une détente inédite dans les relations entre les deux pays.

Pour l'heure, Rogoun ressemble encore à un gigantesque chantier avec de la terre rocheuse recouvrant les environs de la puissante rivière Vakhch, grâce à laquelle le barrage produira l'électricité.

S'adressant aux journalistes depuis une plate-forme dominant l'ensemble, l'ingénieur en chef adjoint Soukhrob Otchilov célébrait mercredi ce projet : « L'inauguration de Rogoun signifie la construction de nouvelles usines, le progrès économique et du travail pour notre peuple ».