Un groupe de partis politiques a rejeté vendredi la victoire d'Imran Khan aux législatives pakistanaises de mercredi, annonçant des manifestations et exigeant un nouveau scrutin.

«Nous pensons qu'un vol a été commis», a déclaré l'un de leurs représentants, l'homme politique Maulana Fazalur Rehman au terme d'une réunion rassemblant une douzaine de partis à Islamabad, alors que le scrutin a été entaché d'accusations de fraude.

Parmi ces formations figure le PML-N de Shahbaz Sharif, au pouvoir ces cinq dernières années, et qui avait dénoncé dès mercredi des «fraudes flagrantes» ramenant «le Pakistan 30 ans en arrière». Le parti s'estime victime d'une conspiration de l'armée et de la justice pakistanaises pour l'évincer du pouvoir.

L'ex-Premier ministre Nawaz Sharif, destitué en juillet 2017 pour une affaire controversée de corruption, a été condamné à dix ans de prison et incarcéré moins de deux semaines avant le scrutin.

La campagne électorale elle-même a été dépeinte par certains observateurs comme l'une des plus «sales» de l'histoire du pays en raison de manipulations présumées de l'armée pakistanaise en faveur de M. Khan.

«Des gens disent avoir la majorité, mais nous ne la reconnaissons pas, et nous ne voulons même pas leur donner le droit de gouverner après cette élection. Nous sommes tombés d'accord pour exiger de nouvelles élections», a encore déclaré Maulana Fazalur Rehman.

«Nous bloquerons la route de ces voleurs et pilleurs s'ils se dirigent vers le Parlement», a-t-il ajouté, soulignant qu'il en allait de «la survie de la démocratie» dans le pays.

Le leader du Parti du peuple pakistanais (PPP), Bilawal Bhutto, troisième du scrutin, et absent à cette rencontre, a annoncé peu après lors d'une conférence de presse qu'il rejetait lui aussi les résultats de l'élection.

Le fils de la Première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007, a toutefois fait savoir qu'il chercherait à convaincre les autres formations politiques de participer au processus parlementaire.

Liberté d'expression

Ces déclarations interviennent alors que le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), le parti d'Imran Khan, a remporté le scrutin en s'assurant au moins 114 sièges au Parlement, loin devant ses rivaux, selon des résultats partiels rendus publics vendredi par la Commission électorale pakistanaise (ECP).

Mais la mission d'observation de l'Union européenne a elle aussi fait état de «restrictions sur la liberté d'expression» et estimé que «le processus électoral de 2018 n'(était) pas à la hauteur de celui (des législatives) de 2013»

«La plupart des interlocuteurs (ont) reconnu un effort systématique pour porter atteinte (au PML-N) via des affaires de corruption, outrage au tribunal ou accusations de terrorisme», a-t-elle encore noté.

Les analystes avaient mis en garde contre des risques d'instabilité au vu des circonstances dans lesquelles se sont déroulés la campagne électorale et le vote et des risques qu'ils font peser sur la légitimité des résultats.

«Personne ne peut gouverner efficacement lorsque la moitié du pays croit que vous avez été installé suite à une manipulation de l'armée et de la justice plutôt que par le vote du peuple», avait estimé l'ancien diplomate Hussain Haqqani.

«Le problème est que l'armée a endossé un rôle si central le jour du vote et que les accusations des partis incluent le fait que leurs agents électoraux ont été expulsés des bureaux de vote», renchérit l'analyste Azeema Cheema, interrogée par l'AFP.

«Cela va être des questions auxquelles il sera difficile de répondre pour l'armée. Il n'y aura pas de réponses à cela», pronostique-t-elle.

Le Pakistan, puissance nucléaire, a été dirigé par son armée pendant près de la moitié de ses 71 ans d'histoire.

Les élections de mercredi constituaient seulement la deuxième transition démocratique d'une législature civile à une autre dans ce jeune pays au passé ponctué de coups d'État militaires et aux institutions fragiles.

«Nouveau Pakistan»

Imran Khan pour sa part avait revendiqué dès jeudi la victoire, balayant les accusations de fraudes.

Le résultat obtenu, bien que meilleur qu'attendu, ne lui permettra pas d'obtenir la majorité (137 sièges) nécessaire à la formation d'un gouvernement. Il devait donc chercher des alliés parmi les députés indépendants ou former une coalition avec d'autres partis.

«Nous avons réussi. On nous a donné un mandat», avait-il lancé, louant les élections «les plus justes et les plus transparentes» de l'histoire du pays.

Promettant l'avènement d'un «nouveau Pakistan», il s'est engagé à lutter contre la corruption et la pauvreté. Il a également promis de travailler à des «relations équilibrées» avec les États-Unis et s'est dit prêt à discuter de l'épineux conflit du Cachemire avec l'Inde.

Mais le futur gouvernement se retrouvera confronté à des problèmes pressants, notamment une économie dans le rouge et de gigantesques défis environnementaux.

Le PML-N de Shahbaz Sharif a pour sa part remporté 63 sièges à ce stade, et le PPP de Bilawal Bhutto-Zardari, 43, a indiqué la Commission.

Les États-Unis critiquent le processus 

Les États-Unis ont exprimé vendredi des «inquiétudes au sujet d'irrégularités» ayant émaillé la campagne électorale au Pakistan, mais se sont dits prêts à travailler avec le futur gouvernement issu des urnes.

Dans un communiqué, le département d'État américain «prend acte» des résultats des élections législatives de mercredi, remportées par le parti du champion de cricket Imran Khan selon des résultats rejetés par d'autres formations politiques.

«Les États-Unis partagent les inquiétudes au sujet d'irrégularités lors du processus préélectoral, telles qu'exprimées par la Commission des droits de l'Homme du Pakistan», a toutefois ajouté la porte-parole de la diplomatie américaine Heather Nauert.

Elle épingle notamment des «restrictions aux libertés d'expression et d'association durant la campagne, en contradiction avec l'objectif affiché des autorités pakistanaises en faveur d'élections totalement justes et transparentes».

Selon le département d'Etat, Washington partage aussi les conclusions des observateurs européens selon lesquels «les évolutions positives du cadre juridique sont éclipsées» notamment par «un manque notable d'égalité et d'opportunité aux élections».

Enfin, «les États-Unis émettent de profondes réserves quant à la participation aux élections de personnes affiliés à des groupes terroristes, mais félicitent les électeurs pakistanais qui ont totalement rejeté ces candidats dans les urnes mercredi».

La diplomatie américaine «cherchera des occasions de travailler avec» le nouveau gouvernement «pour faire progresser nos objectifs de sécurité, de stabilité et de prospérité en Asie du Sud», a assuré Heather Nauert, sans jamais mentionner les vainqueurs du scrutin.

Les États-Unis reprochent régulièrement au Pakistan d'être trop tendre à l'égard des talibans et de donner «refuge» aux «terroristes», ce qui alimente à leurs yeux le conflit en Afghanistan voisin, où l'armée américaine est en guerre depuis 2001.