Contre toute attente, la Corée du Nord se dit disposée à discuter de dénucléarisation à l'approche d'un sommet historique qui constitue, de l'avis de plusieurs analystes, une occasion rêvée pour écarter les risques d'Armageddon nucléaire pesant depuis des années sur la région. Le président américain a salué les signes d'ouverture de Pyongyang, tout en appelant à la prudence dans l'attente d'avancées concrètes.

DANS QUEL CONTEXTE CETTE DÉCISION SURVIENT-ELLE?

Les Jeux olympiques d'hiver qui viennent de se dérouler en Corée du Sud ont été le théâtre d'une sérieuse ouverture diplomatique de la Corée du Nord, qui a notamment envoyé sur place la soeur de Kim Jong-un et permis aux athlètes des deux pays de défiler sous une même bannière. En début de semaine, une délégation de hauts responsables sud-coréens s'est rendue à Pyongyang et a été reçue par le dirigeant nord-coréen, qui s'est vu remettre une lettre de son homologue Moon Jae-in, l'invitant à des pourparlers. Il a été convenu à cette occasion qu'un sommet regroupant les chefs d'État aurait lieu fin avril dans la zone démilitarisée séparant les deux pays, qui ont conclu un pacte de non-agression mettant fin à la guerre de Corée en 1953 sans jamais formaliser la paix. Des sommets de même nature ont eu lieu précédemment en 2000 et 2007 sans permettre de dénouer la crise.

SUR QUOI PORTERONT LES DISCUSSIONS?

La présidence sud-coréenne a indiqué hier que le régime nord-coréen était disposé à discuter de la dénucléarisation de l'archipel et proposait, durant les pourparlers, de ne pas procéder à de nouveaux essais nucléaires ou tests de missiles. Selon Séoul, Pyongyang veut ultimement obtenir que la « sécurité du régime soit garantie » et que les « menaces militaires » contre lui cessent.

Joseph Cirincione, spécialiste du dossier nucléaire nord-coréen rattaché à la fondation Ploughshares, affirme que l'ouverture manifestée par Pyongyang est « stupéfiante » et constitue une occasion en or pour permettre le lancement de pourparlers constructifs. Le régime, qui a toujours considéré son programme nucléaire comme une protection nécessaire contre une possible « agression » américaine, accepte de suspendre son développement pour permettre l'ouverture de pourparlers alors qu'il exigeait jusque-là, comme condition préalable, la suspension de toute menace contre lui.

Cette exigence, selon M. Cirincione, concernait notamment les exercices militaires d'envergure tenus chaque année par les forces américaines et sud-coréennes, qui inquiètent depuis longtemps Pyongyang. Elles ont été reportées en avril en raison de la trêve olympique, note l'analyste, qui doute de leur tenue dans un contexte où les chefs d'État s'apprêtent à se rencontrer.

POURQUOI ASSISTE-T-ON À CETTE OUVERTURE MAINTENANT?

Joseph Cirincione estime que l'ouverture manifestée par le dictateur nord-coréen suggère qu'il se croit en bonne position pour négocier une sortie durable de la crise. Les réussites enregistrées depuis quelques années par le régime lors des tests liés à son programme nucléaire ont permis, à ses yeux, d'établir de manière crédible sa capacité de frappe contre les États-Unis.

Si les négociations permettent au régime de conclure une paix durable et d'assurer sa pérennité, notamment en entraînant l'interruption des exercices militaires, ce sera un gain important. Dans le cas contraire, Pyongyang aura toujours le loisir de reprendre son programme, fort des connaissances enregistrées au cours des dernières années. « Ils n'ont rien à perdre », note M. Cirincione.

Le directeur de l'Arms Control Association, Daryl Kimball, pense que « personne à part Kim Jong-un lui-même » ne peut véritablement savoir ce qui le motive. Les sanctions imposées contre la Corée du Nord ont pu peser sur la décision du régime, qui avait esquissé en début d'année un semblant d'ouverture, mais ses dirigeants ont l'habitude de composer avec ce type de pression. L'impression qu'a Pyongyang d'avoir créé, par ses avancées technologiques, une réponse potentiellement crédible à toute agression américaine est un facteur plus important, relève M. Kimball en écho à M. Cirincione.

QU'EN PENSENT LES ÉTATS-UNIS?

Dans la mesure où la Corée du Nord craint d'abord et avant tout une attaque américaine, il apparaît impératif que les États-Unis acceptent de participer à des pourparlers directs avec le régime, relève M. Kimball. Les deux Corées peuvent traiter de questions secondaires, comme l'établissement d'une ligne d'urgence pour éviter les dérapages, mais l'attitude de Washington sera déterminante pour la suite des choses. « Ce serait bien pour le monde, bien pour la Corée du Nord, bien pour la péninsule, mais nous verrons ce qui va se passer », a déclaré le président américain Donald Trump, hier. Celui qui a proféré à plusieurs reprises des menaces envers le régime nord-coréen depuis son arrivée au pouvoir a jugé « sincère » l'offre de dialogue formulée par Pyongyang. À qui faut-il attribuer cette évolution ? « Moi ! », a-t-il répondu en conférence de presse.

M. Kimball souligne que l'administration américaine a eu beaucoup de mal au fil des mois à exprimer une position constante relativement à la crise. Il apparaît cependant, dit-il, que Washington est disposé à ouvrir des pourparlers en échange du gel des essais nucléaires nord-coréens. Certains hauts responsables ont déjà indiqué que le régime devrait d'emblée accepter de renoncer à ses armes nucléaires, mais une telle exigence serait tout simplement « absurde », note M. Kimball. Même son de cloche de M. Cirincione. « Ce serait aberrant de leur demander de renoncer à l'arme atomique avant même qu'ils s'assoient à la table. C'est à cela que servent des tables de négociation », conclut-il.