La justice pakistanaise a imposé hier de lourdes peines à six hommes qui avaient participé l'année dernière au lynchage d'un étudiant injustement soupçonné de blasphème.

L'un des accusés a été condamné à mort pour avoir ouvert le feu sur la victime, Mashal Khan, alors que les cinq autres devront purger des peines de prison à perpétuité.

Vingt-cinq autres participants ont écopé de peines d'emprisonnement de trois ans en lien avec le drame, qui avait suscité une vague d'indignation dans le pays et au-delà.

Des vidéos de la mise à mort du jeune homme de 23 ans montrant un groupe d'étudiants qui s'acharnent à frapper son corps immobile et ensanglanté ont largement circulé sur internet et sont encore aujourd'hui accessibles sur certains réseaux sociaux.

Mashal Khan, réputé être un libre penseur épris de Karl Marx et de Che Guevara, est devenu la cible en avril 2017 de rumeurs indiquant qu'il avait diffusé du matériel blasphématoire sur Facebook.

Une foule en colère s'est présentée à sa résidence universitaire le 13 avril et l'a tiré dehors pour le battre, certains participants continuant à frapper son corps inerte même après sa mort.

Les images saisies par les caméras ont aidé ensuite à identifier plus d'une cinquantaine de suspects, principalement des étudiants et une poignée de membres du personnel de l'université. Vingt-six d'entre eux ont été acquittés hier.

L'enquête policière a permis de conclure que les allégations de blasphème n'étaient pas fondées et avaient possiblement été lancées volontairement par des étudiants rivaux qui voulaient s'en prendre à la victime.

LA LOI SUR LE BLASPHÈME

Le drame a replacé sous les projecteurs la loi sur le blasphème du pays, qui prévoit la peine capitale pour toute personne faisant des remarques « dérogatoires » par rapport à l'islam et au prophète Mahomet.

Introduite dans les années 80, elle est régulièrement décriée par les organisations de défense des droits de la personne, qui réclament son abrogation en relevant qu'elle encourage les abus.

Selon Human Rights Watch, une vingtaine de personnes ont été formellement condamnées à mort au Pakistan pour avoir prétendument porté atteinte à l'islam. Aucune n'a cependant été exécutée à ce jour.

Plusieurs dizaines de cas d'exécutions extrajudiciaires comme celui ayant coûté la vie à Mashal Khan ont cependant été recensés au fil des ans. Les personnes issues de minorités religieuses sont souvent ciblées.

Sur la base de simples allégations de blasphème, une foule en furie avait notamment battu à mort un couple de chrétiens en 2014 dans l'État du Panjab, avant de brûler les corps. Un policier avait décapité la même année un détenu souffrant de maladie mentale en évoquant des raisons similaires.

UN SUJET EXPLOSIF

Saroop Ijaz, un avocat travaillant pour Human Rights au Pakistan, souligne en entrevue que les condamnations prononcées dans le cas de Mashal Khan démontrent que l'État « a la capacité, s'il le veut, de punir les responsables d'actes violents commis au nom de la religion ».

Il prévient cependant qu'il faudra sans doute encore bien des efforts pour en arriver à réformer la loi sur le blasphème, qui demeure un sujet extrêmement explosif dans le pays.

Les groupes religieux extrémistes s'opposent à tout changement à ce sujet et voient comme des héros les hommes qui décident eux-mêmes de s'en prendre aux prétendus blasphémateurs.

Des dizaines de milliers de personnes avaient notamment manifesté avec colère il y a quelques années contre l'exécution d'un garde du corps qui avait tué le gouverneur de la province du Panjab, Salman Taseer. Il reprochait au politicien d'avoir pris la défense d'une chrétienne condamnée à mort pour blasphème.

Le gouvernement pakistanais se montre généralement réticent à intervenir lors d'exécutions parajudiciaires et a mis plusieurs jours à répondre publiquement au lynchage de Mashal Khan, déplore Saroop Ijaz.

« Même là, la réponse était prudente et évasive, évitant les causes de la violence », relève le représentant de Human Rights Watch.

Il espère que la « mort horrible » du jeune étudiant permettra la tenue d'une véritable « discussion nationale » sur la loi sur le blasphème et mettra en lumière son « incompatibilité avec un État moderne et démocratique ».

UN RÔLE PÉRILLEUX

Les personnes accusées de blasphème au Pakistan ont souvent beaucoup de mal à se défendre devant les tribunaux, notamment parce que les avocats qui acceptent de leur prêter main-forte s'exposent eux-mêmes à des risques considérables. En mai 2014, un avocat et militant connu, Rashid Rehman, a été assassiné dans son bureau. Il avait précédemment été prévenu qu'il risquait de faire face à de « graves conséquences » pour ses interventions en faveur d'un universitaire poursuivi pour blasphème. Junaid Hafeez, qui nie les allégations à son sujet a été arrêté en 2013 et demeure détenu en isolement en attendant l'ouverture d'un procès qui ne cesse d'être reporté.