La Chine est un soutien rare et précieux pour la Birmanie, isolée sur la scène internationale par la crise des Rohingyas. L'enjeu pour Pékin: préserver les immenses projets lancés dans la zone du conflit, qui se trouve sur une des «nouvelles routes de la soie».

En avril, le président chinois Xi Jinping avait déroulé à Pékin le tapis rouge à son homologue birman Htin Kyaw et tout de suite insisté sur la nécessité de «mettre en oeuvre au plus tôt» des projets de coopération cruciaux.

Parmi ces grands dossiers: la «zone économique spéciale de Kyaukpyu», une ville de l'État Rakhine à 200 kilomètres au sud du coeur de la zone qu'ont quitté par centaines de milliers les Rohingyas ces dernières semaines, fuyant une opération de l'armée birmane, qualifiée d'«épuration ethnique» par l'ONU.

Premier investisseur en Birmanie, la Chine a renforcé ces dernières années ses positions dans cette région de l'ouest du pays, où vit la minorité musulmane rohingya.

Les installations dans l'État Rakhine sont cruciales pour Pékin qui cherche à sécuriser l'acheminement vers le Yunnan dans le sud-ouest de la Chine du pétrole et du gaz naturel venus du Moyen-Orient, en évitant le détroit de Malacca, entre la Malaisie et l'Indonésie.

D'après le gigantesque conglomérat étatique chinois CITIC, plus de neuf milliards de dollars doivent être investis dans un port en eaux profondes à Kyaukpyu et une zone économique de 1000 hectares, dans le cadre de l'immense projet chinois des «nouvelles routes de la Soie». Le tout attendu pour 2038.

L'État Rakhine et le Yunnan sont déjà reliés depuis avril par un immense oléoduc. Entré en fonction après sept années de construction, il a représenté, selon le géant public chinois CNPC qui contrôle la structure, un investissement de 2,45 milliards de dollars, dont 1,20 milliard venant de l'État birman et 1,24 milliard de la Chine.

Conseil de sécurité jeudi

Ces «projets économiques d'envergure» de Pékin sont la clé de son soutien indéfectible aux Birmans, estime Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l'Asie du Sud-Est à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

La Chine devrait s'exprimer jeudi devant le Conseil de sécurité de l'ONU, dont elle est membre permanente et qui se réunit à nouveau pour évoquer la crise dans l'ouest de la Birmanie.

Pékin devrait camper sur sa position: «soutenir les efforts de la Birmanie pour préserver la stabilité de son développement national», pour reprendre l'expression du ministère chinois des Affaires étrangères mi-septembre.

Le développement économique est, pour la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, la clé à long terme pour cette région, l'une des plus misérables du pays avec un taux de pauvreté qui atteint 78%, soit plus du double de la moyenne nationale.

En janvier 2016, le vice-président de CITIC Construction, Yuan Shaobin, avait parlé de «partager les dividendes du projet avec la Birmanie et les populations locales» et évoqué la création de 50 cliniques et 50 écoles dans la région. Mais ses promesses n'ont jusqu'ici pas été tenues.

«Les projets colossaux de la Chine dans l'État Rakhine ont fortement mécontenté les populations locales, qui n'ont vu aucune retombée positive», estime Alexandra de Mersan, chercheuse à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et spécialiste de l'État Rakhine.

Ce qui a été dénoncé par la commission internationale dirigée par l'ex-secrétaire général de l'ONU Kofi Annan. Dans son rapport publié en août, elle estimait que «les profits avaient tendance à être partagés entre Naypyidaw (la capitale birmane) et les compagnies étrangères» avec «pour conséquence le fait que le gouvernement est considéré comme un exploiteur» par la population.

Richesses souterraines

Comme de nombreuses autres régions birmanes, l'État Rakhine regorge de richesses souterraines, notamment du gaz. Pour certains experts, les enjeux économiques ne seraient donc pas étrangers au conflit actuel.

D'après Saskia Sassen, sociologue auteur d'un livre intitulé «Expulsions : brutalité et complexité dans l'économie globale», «d'autres intérêts que la religion pourraient être en jeu pour expliquer la répression» actuelle.

L'État Rakhine était jusqu'à peu plutôt préservé, par rapport à d'autres régions, de l'accaparement des terres par des hommes d'affaires proches de l'armée, mais la donne a changé. Car «la terre est devenue précieuse en raison des projets de la Chine», explique la chercheuse. «Et la terre libérée par l'expulsion radicale des Rohingyas devient plus intéressante pour l'armée», conclut-elle.

Un demi-million de Rohingyas réfugiés au Bangladesh

Le nombre de Rohingyas réfugiés au Bangladesh depuis fin août pour échapper aux violences en Birmanie a franchi jeudi la barre symbolique du demi-million, ont annoncé les Nations unies.

«501 800 nouvelles arrivées ont été enregistrées au 27 septembre», ont déclaré les agences de l'ONU et des ONG dans leur rapport de suivi de la situation. Le document note cependant que le flux des passages à la frontière faiblit depuis plusieurs jours.