La chef du gouvernement birman, la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, a dénoncé mercredi un «iceberg de désinformation» dans la crise des musulmans rohingyas, sortant de son silence pour la première fois sur ce sujet.

C'est le premier commentaire officiel, depuis le début des troubles fin août de la lauréate du prix Nobel de la paix, très critiquée à l'étranger pour son silence sur le sort de cette minorité musulmane, qui fuit par dizaines de milliers au Bangladesh.

La compassion internationale à l'égard des musulmans rohingyas est le résultat d'un «énorme iceberg de désinformation créé pour générer des problèmes entre les différentes communautés et promouvoir les intérêts des terroristes», a-t-elle déclaré lors d'un échange téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Ce dernier a à plusieurs reprises condamné la réponse du gouvernement birman à cette crise, parlant de «génocide» dans cette région du nord-ouest de la Birmanie, l'État Rakhine.

Une accusation rejetée par Aung San Suu Kyi, qui a toujours défendu l'action de l'armée, et affirmé que son pays fait «en sorte que tous les habitants voient leurs droits protégés».

D'après les organisations humanitaires, outre les 146 000 réfugiés, principalement Rohingyas, arrivés au Bangladesh depuis le 25 août, des milliers de personnes seraient en route et certaines toujours bloquées à la frontière.

«J'ai marché pendant sept jours avec ma famille portant ma mère de 90 ans sur mon dos», raconte Ali Ahammad, un Rohingya de 38 ans, maigre et épuisé.

Nombre de Rohingyas tentent leur chance sur des rafiots de pêche à travers la rivière Naf, qui marque une frontière naturelle entre la Birmanie et la pointe sud-est du Bangladesh. Une solution risquée, les flots de ce cours d'eau pouvant être particulièrement capricieux en cette période de mousson en Asie du Sud.

Mercredi, les corps de cinq enfants noyés dans le naufrage de leur bateau se sont échoués côté Bangladesh.

«J'ai dû vendre les bijoux en or de mon mariage pour payer le bateau pour arriver au Bangladesh. Nous sommes saufs, mais nous ne sommes aujourd'hui plus que des réfugiés sans le sou» renchérit Gul Bahar, mère rohingya de six enfants.

Les violences ont commencé par l'attaque le 25 août de dizaines de postes de police par les rebelles de l'Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), qui dit vouloir défendre la minorité rohingya.

Depuis, l'armée birmane a déclenché une vaste opération dans cette région pauvre et reculée, l'État Rakhine, qui a fait 400 morts.

Jusqu'à présent, les Rohingyas n'avaient presque jamais recouru à la lutte armée. La donne a changé en octobre 2016 avec les premières attaques de l'ARSA.

Manifestation à Jakarta

Depuis des décennies, la minorité musulmane des Rohingyas, qui compte environ un million de personnes en Birmanie, est victime de discriminations en Birmanie.

Considérés comme des étrangers au sein de la Birmanie, pays à plus de 90% bouddhiste, les Rohingyas sont apatrides, même si certains vivent dans ce pays depuis des générations.

Ils n'ont pas accès au marché du travail, aux écoles, aux hôpitaux. Et la montée du nationalisme bouddhiste ces dernières années a attisé l'hostilité à leur encontre, avec des affrontements meurtriers.

Une situation qui rendait le silence d'Aung San Suu Kyi inacceptable à l'étranger. Mercredi, des milliers de musulmans ont manifesté à Jakarta pour exiger la fin des violences.

Prenant la tête des protestations internationales, la jeune prix Nobel de la paix Malala Yousafzai avait critiqué lundi la gestion du drame par la Birmanie évoquant «le traitement honteux dont font l'objet les Rohingyas».

Certains analystes estiment que la prix Nobel de la Paix est impuissante face à la montée des bouddhistes extrémistes et face à une armée qui reste très forte y compris politiquement dans un pays qui fut pendant près de 50 ans une dictature militaire.

Après une enquête sur la précédente flambée de violence, l'ONU avait dénoncé la vaste entreprise de répression «généralisée et systématique» menée essentiellement par l'armée à l'encontre des Rohingyas. Les Nations Unies estimaient que cela avait abouti à un «nettoyage ethnique» et «très probablement» à des crimes contre l'humanité.