Le président philippin Rodrigo Duterte avait promis de recourir à la manière forte pour venir à bout du trafic de drogue dans son pays, et il n'a pas mis de temps à passer de la parole aux actes, faisant fi des critiques.

De son entrée officielle en fonction le 1er juillet à la mi-août, pas moins de 712 personnes soupçonnées de faire le trafic ou de consommer de la drogue ont été tuées par les forces policières, alors que 68 avaient subi le même sort dans les six mois précédents.Les statistiques policières relèvent par ailleurs que des miliciens inconnus ont assassiné depuis le début du mois de juillet 1072 personnes prétendument liées au monde de la drogue, ce qui porte à près de 2000 le nombre de morts.

« Le nombre d'exécutions extrajudiciaires a été littéralement décuplé depuis l'arrivée au pouvoir de Duterte », dénonce Phelim Kine, qui dirige la division asiatique de Human Rights Watch.

L'organisation de défense des droits de la personne craint la situation dans le pays et s'interroge sur la responsabilité du nouveau chef d'État.

UN NOMBRE DE MORTS « INSUFFISANT »

Plutôt que de s'alarmer du nombre de personnes tuées par la police, Rodrigo Duterte s'en est ouvertement félicité il y a quelques semaines, disant y voir une preuve de l'efficacité de ses politiques. « Il a même demandé aux autorités de maintenir le rythme », dénonce M. Kine.

Le message a été bien entendu dans l'appareil étatique, puisque le procureur général, Jose Calida, a défendu la légalité des opérations policières et suggéré que le nombre de personnes tuées par les forces de l'ordre était « insuffisant ».

Le directeur de la police nationale, Ronald de la Rosa, a déclaré pour sa part lors d'une récente conférence de presse que ces morts étaient la preuve de « l'intransigeance » du gouvernement face aux trafiquants. Il a assuré qu'il ne cautionnait pas les exécutions extrajudiciaires, sans pour autant indiquer que des mesures seraient prises pour identifier les auteurs des crimes.

« C'est toujours le même scénario qui se répète. Une personne est poignardée ou abattue par balles par des inconnus qui laissent une affiche sommairement écrite qui dit : "Je suis un trafiquant, apprenez de ma vie" ». - Phelim Kine, de Human Rights Watch

Selon M. Kine, l'explosion du nombre d'exécutions extrajudiciaires à l'échelle du pays reflète le scénario survenu dans la ville de Davao, dans l'île de Mindanao, à l'époque où Rodrigo Duterte en était le maire.

Des miliciens avaient alors exécuté plus d'un millier de personnes supposément associées au trafic de drogue. « Ils disent que je fais partie d'un escadron de la mort ? Oui, c'est vrai », avait lancé l'élu en mai 2015, avant de promettre de faire exécuter 100 000 criminels de plus en cas de victoire à l'élection présidentielle. Il était ensuite revenu sur sa déclaration.

OBAMA INSULTÉ

L'approche du chef d'État philippin inquiète au plus haut point les organisations de défense des droits de la personne, qui soulignent les risques de dérive inhérents à une approche extrajudiciaire qui fait peu de cas du droit à un procès équitable prévu par la Constitution.

Le président philippin fait peu de cas des critiques et n'hésite pas à invectiver ses détracteurs, comme il vient de le montrer avec le président américain Barack Obama.

Ce dernier a annulé une rencontre bilatérale qui devait se tenir hier après que le chef d'État philippin s'est offusqué de sa volonté d'aborder avec lui la problématique des exécutions extrajudiciaires.

« Pour qui il se prend ? Je ne suis pas un pantin des États-Unis. Je suis le président d'un pays souverain et je n'ai à répondre à personne d'autre qu'aux Philippins eux-mêmes... Fils de pute, je vais t'injurier », avait déclaré Rodrigo Duterte.

Après l'annonce par la Maison-Blanche de l'annulation de la rencontre, le président philippin a dit regretter dans un communiqué que ses propos aient été vus comme une « attaque personnelle » contre le chef d'État américain. Il s'est dit impatient de pouvoir aplanir les divergences existantes entre les deux pays.

« TROIS ENFANTS, C'EST ASSEZ »« Trois enfants, c'est assez. Vous, les travailleurs sociaux, devez vous montrer actifs. Dites-leur que le maire a dit qu'il viendrait leur couper le pénis s'ils ont un cinquième enfant. »

En tant que maire, il blaguait sur la manière dont il entendait faire respecter son programme de planification familiale.

« ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE »« C'est ça, le problème. Ils sont toujours en train de faire peur au monde par rapport à telle ou telle convention des Nations unies. Je dis : allez vous faire foutre, les Nations unies, vous n'êtes même pas capables de faire cesser le carnage au Moyen-Orient... »

Après la parution d'un rapport onusien critiquant les exécutions extrajudiciaires dans son pays.

« JE VAIS VOUS MANGER »« Je vais vous ouvrir le torse. Qu'on me donne du sel et du vinaigre et je vais vous manger. Je ne blague pas. »

À propos des miliciens islamistes d'Abou Sayyaf

photo Soe Zeya Tun, REUTERS

« Pour qui il se prend ? Je ne suis pas un pantin des États-Unis. Je suis le président d'un pays souverain et je n'ai à répondre à personne d'autre qu'aux Philippins eux-mêmes... Fils de pute, je vais t'injurier », avait déclaré Rodrigo Duterte.