Il parle de son pénis dans un discours devant des chefs d'entreprise, blague sur le viol et le meurtre d'une religieuse australienne, propose de tuer 100 000 criminels, traite le pape François de «fils de pute» et a toutes les chances d'être élu à la présidence, demain. Voici Rodrigo Duterte, le Donald Trump des Philippines.

MAUVAIS GARÇON

Rodrigo Duterte traîne une réputation de mauvais garçon. Âgé de 71 ans, celui qui a été maire de Davao, l'une des plus importantes villes des Philippines, durant plus de 22 ans carbure aux grivoiseries et aux déclarations-chocs. Il a insulté le pape parce que sa visite avait provoqué des embouteillages monstres, insinué qu'il aurait dû « passer en premier » lors du viol puis du meurtre d'une missionnaire australienne dans une prison de sa ville en 1989 et promis d'éradiquer la criminalité, notamment en tuant 100 000 bandits et en jetant leurs cadavres dans la baie de Manille, la capitale, pour engraisser les poissons.

ESCADRONS DE LA MORT

Partisan de la ligne dure contre le crime, il se targue d'avoir fait de Davao, jadis l'une des villes les plus dangereuses du pays, un havre de paix. « Mais est-ce qu'il a réduit la criminalité à zéro ou créé un monopole de la criminalité ? », s'interroge Miguel Syjuco. L'écrivain philippin, rentré dans son pays natal l'an dernier après huit ans à Montréal, évoque ainsi les accusations d'exécutions extrajudiciaires contre les autorités de la ville. Tant Amnistie internationale que Human Rights Watch estiment que les « escadrons de la mort », auxquels Duterte reconnaît partiellement avoir eu recours, auraient fait au moins 1425 victimes, notamment des enfants de la rue.

POPULISTE POPULAIRE

« La popularité de Duterte est un signe de protestation » contre l'administration du président sortant Benigno Aquino, « perçue comme élitiste et oligarchique », estime le chercheur Joseph Franco, de l'Université technologique de Nanyang, à Singapour. « Il est bon pour faire des déclarations percutantes, mais il parvient mal à développer une position idéologique cohérente », poursuit-il, ajoutant que Duterte « n'a pas l'étoffe d'un homme d'État ». Ses propositions sont « si simples qu'elles sont très attirantes pour les électeurs désespérés », estime Miguel Syjuco, qui craint une dérive autoritaire advenant son élection. Joseph Franco indique que la proximité entre Duterte et la rébellion communiste, considérée comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'Union européenne, mais pas par le Canada, est une autre source d'inquiétude.

CONFORTABLE AVANCE

Rodrigo Duterte pourrait récolter le tiers des voix, selon les plus récents sondages, ce qui lui donne une confortable avance sur ses adversaires. Sa principale rivale, Grace Poe, accuse une dizaine de points de retard. Si elle ne fait pas partie d'une populaire dynastie familiale, la sénatrice s'est toutefois vu reprocher ses liens avec d'anciens responsables de la dictature de Ferdinand Marcos. « Tous les candidats incarnent le diable », lâche Miguel Syjuco, qui les qualifie tous de « populistes » et d'« opportunistes », y voyant « le propre de la politique philippine : il faut choisir le moins pire ».

L'INDICE BOISSONS SUCRÉES

Les ventes de Big Gulp, la gamme de boissons sucrées en fontaine de la chaîne de dépanneurs 7-Eleven, témoignent elles aussi de la large avance de Rodrigo Duterte. Les verres en carton habituels ont été remplacés par des verres à l'effigie des cinq candidats à la présidence, une façon lucrative pour l'entreprise de profiter de l'engouement électoral et pour les clients d'afficher leurs couleurs. À ce jeu non scientifique, c'est le verre de Rodrigo Duterte qui a généré le plus de ventes à l'échelle du pays, rapporte la BBC, suivi par le verre « indécis ». Grace Poe, elle, arrive à l'avant-dernière place.

UNE TRANSSEXUELLE AU CONGRÈS ?

Le scrutin de demain qui sera aussi l'occasion de renouveler la Chambre des représentants, pourrait bien entraîner l'élection d'une transsexuelle, une première aux très catholiques Philippines. Geraldine Roman, 49 ans et polyglotte, est devenue une femme dans les années 90. Fille d'un puissant homme politique aujourd'hui décédé, elle a de très bonnes chances d'être élue, dans un pays friand des dynasties familiales. Son élection ferait beaucoup pour la lutte contre les discriminations dans l'archipel où l'influence de l'Église demeure prépondérante, où divorces, avortements et mariages homosexuels sont illégaux, et où aucun homosexuel déclaré n'occupe un poste politique de premier plan.

- Avec l'Agence France-Presse

Photo Romeo Ranoco, Reuters

Geraldine Roman