Le président philippin sortant, Benigno Aquino, a appelé vendredi les candidats à sa succession à s'unir pour faire barrage au favori, Rodrigo Duterte, propulsé par une campagne populiste ponctuée d'outrances et d'insultes contre les élites et même le pape.

Crédité de 33 % des voix dans un sondage paru vendredi, M. Duterte pourrait l'emporter grâce à un système électoral accordant la victoire à la personnalité arrivant en tête, même sans majorité absolue.

Alors que quatre autres candidats sont en lice pour le scrutin de lundi, «toute la question est que deux au moins d'entre eux s'unissent, afin de parvenir à plus de 40 %», a déclaré M. Aquino à la chaîne CNN Philippines, un appel qui suppose un ou plusieurs désistements.

Rodrigo Duterte, un avocat de 71 ans coutumier des provocations, a plaisanté le mois dernier au sujet d'une missionnaire australienne victime de meurtre, affirmant qu'il aurait aimé la violer.

Maire de Davao, une grande ville du sud du pays, il s'est également vanté de ses relations adultères. Il a promis de tuer des dizaines de milliers de criminels, puis de s'octroyer une grâce pour ces meurtres de masse.

Il a accusé sa fille «d'en faire des tonnes» lorsqu'elle a évoqué les abus sexuels dont elle avait été victime. Il a aussi menacé de fermer un Congrès qui ne serait pas aux ordres.

Grâce à cette stratégie, Rodrigo Duterte est devenu contre toute attente le favori de la présidentielle et des analystes le comparent à Donald Trump, candidat républicain probable à la Maison-Blanche, pour avoir bouleversé les codes de la politique conventionnelle.

Par delà sa vulgarité, les analystes font valoir qu'il a su habilement se dépeindre comme un candidat anti-establishment, partisan de solutions expéditives à des problèmes anciens comme la criminalité ou la pauvreté.

«Il est devenu le symbole de la frustration, peut-être même du désespoir, pour ceux qui avaient placé leurs espoirs et leur confiance dans l'élite de ce pays», affirme à l'AFP le politologue Ramon Casiple.

Depuis la chute du dictateur Ferdinand Marcos en 1986, l'archipel est largement dirigé, au niveau local comme national, par des clans familiaux soutenus par de puissants hommes d'affaires, un système qui a contribué à enraciner les écarts considérables de richesse.

L'élite et les délinquants dans le viseur

Le président Aquino est lui-même membre de l'un de ses clans, et est critiqué pour avoir reconduit un modèle économique très inégalitaire.

Depuis son arrivée à la présidence en 2010, les Philippines ont connu en moyenne une croissance économique annuelle de 6 %, mais un quart des 100 millions d'habitants vit toujours en dessous du seuil de pauvreté, une proportion inchangée en six ans.

Un terrain favorable aux prises de position de Rodrigo Duterte contre l'élite en place.

«Lorsque je deviendrai président, par la grâce de Dieu, je servirai les gens, pas vous», a-t-il lancé à la presse cette semaine, en référence à la classe dirigeante.

«Merde. Mon problème c'est les gens en bas de l'échelle. (...) Mon problème, c'est comment mettre à manger sur la table», a-t-il ajouté.

Pour venir à bout de la pauvreté, il faut selon lui éradiquer le crime, et pour cela se passer d'une justice corrompue et inefficace en donnant l'ordre aux forces de sécurité d'abattre les délinquants.

Escadrons de la mort ?

D'outsider il y a quelques mois, le maire de Davao est passé largement en tête des intentions de vote.

En face de lui, Mar Roxas, candidat adoubé par Benigno Aquino, est issu d'une puissante famille politique et a été éduqué aux États-Unis.

Crédité d'environ 20 % des intentions de vote, il a du mal à surmonter l'impression qu'il manquerait d'empathie pour les plus pauvres.

Duterte met régulièrement en exergue son bilan à Davao, devenue, soutient-il, l'une des villes les plus sûres des Philippines.

Les défenseurs des droits de l'homme l'accusent en revanche d'avoir organisé des escadrons de la mort coupables d'avoir tué plus de 1000 personnes.

Il est cependant sans ambiguïté quand il parle du sort qu'il entend réserver aux criminels : les pompes funèbres «vont être pleines à craquer», a-t-il promis.

Ces écarts l'ont même conduit à insulter le pape François, personnage révéré dans un pays où 80 % des habitants sont des catholiques fervents. Il l'a qualifié de «fils de pute» pour avoir provoqué des embouteillages lors d'une visite dans l'archipel.