Le nouveau président birman, un proche d'Aung San Suu Kyi, a prêté serment mercredi devant le Parlement à Naypyidaw, marquant le début d'une nouvelle ère pour ce pays qui a subi des décennies de domination militaire.

«Je promets d'être fidèle au peuple de la république birmane», a déclaré Htin Kyaw, arrivé au Parlement au côté d'Aung San Suu Kyi, tous deux vêtus de longyis, la jupe traditionnelle birmane.

Le symbole de cette arrivée en duo est fort, Aung San Suu Kyi ayant promis d'être de facto «au-dessus du président».

Dès le départ, Htin Kyaw a en effet accepté ce rôle de doublure de la prix Nobel de la paix, empêchée de devenir présidente en raison d'une Constitution héritée de la junte.

La Constitution interdit en effet cette fonction à quiconque a des enfants de nationalité étrangère, ce qui est le cas d'Aung San Suu Kyi, qui a deux fils britanniques.

Il y a d'ailleurs fait allusion quelques heures plus tard lors de la passation de pouvoir avec le président sortant Thein Sein, évoquant une «réforme de la Constitution qui conduira à une démocratie» pleine. Sous-entendant permettant à Aung San Suu Kyi de devenir présidente dans cinq ans.

Cet ami d'enfance de la Dame de Rangoun, âgé de 69 ans contre 70 pour elle, devient le premier président civil du pays depuis des décennies (1962).

Aung San Suu Kyi, qui n'a pas réussi à faire changer la Constitution pour devenir présidente, sera par défaut à la tête d'un «super ministère» nouvellement créé, comprenant notamment les Affaires étrangères.

Elle a prêté serment à ce titre, comme les autres membres du gouvernement, après Htin Kyaw. Parmi ce cabinet de sexagénaires, aucune femme à part Aung San Suu Kyi.

Cette passation de pouvoir, 15 jours après l'élection de Htin Kyaw par le Parlement, est le dernier acte d'une très longue transition politique qui a commencé après les législatives du 8 novembre 2015, le premier scrutin libre depuis un quart de siècle, auquel les Birmans ont participé en masse.

Raz-de-marée pour la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d'Aung San Suu Kyi, ces élections ont été aussi un vote-sanction contre le gouvernement de transition composé d'ex-généraux ayant pourtant mené des réformes importantes en cinq années de transition post-junte, avec pour cheville ouvrière le président sortant Thein Sein.

Tout en saluant cette passation de pouvoir comme une «nouvelle étape» vers la démocratie en Birmanie, l'Union européenne a rappelé les «nombreux défis restant», par la voix de la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini.

PHOTO YE AUNG THU, AP

Après l'étape du Parlement, Htin Kyaw (à gauche), élu président par le Parlement le 15 mars, s'est rendu au palais présidentiel pour rencontrer Thein Sein (à droite).

Immenses espoirs

Ce gouvernement civil est investi d'immenses espoirs dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La NLD a promis de donner la priorité à l'éducation et la santé, domaines dans lesquels la Birmanie est l'un des plus mauvais élèves au niveau mondial en termes de budget.

«Le pays est prêt et avide de changement», estime l'analyste politique Khin Zaw Win, ancien prisonnier politique devenu directeur du centre d'analyse politique Tampadipa.

Selon lui, la pression sera forte sur les épaules du nouveau gouvernement dans les cinq années à venir.

Le nouveau gouvernement va ainsi être soumis à une forte pression de réformes rapidement visibles et sera tenté de ne pas «reprendre tout à zéro», ajoute-t-il.

Un autre grand chantier attend l'équipe d'Aung San Suu Kyi: les conflits armés ethniques. Dans plusieurs régions frontalières, des groupes rebelles réclament plus d'autonomie et affrontent les forces gouvernementales. Et dans l'ouest du pays, des milliers de musulmans Rohingyas vivent toujours déplacés dans des camps.

Aung San Suu Kyi et son équipe devront aussi manoeuvrer pour gérer les relations avec l'armée birmane, qui reste très puissante politiquement, avec un quart des sièges au Parlement tenu par des militaires non élus.

Restent entre ses mains trois positions importantes au sein du gouvernement (Intérieur, Défense et Frontières).

Le puissant chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing, était d'ailleurs présent mercredi au Parlement pour le serment du nouveau président.

Trois présidents civils et plus de 50 ans de junte

La Birmanie a eu trois présidents civils après l'indépendance de 1948 avant des décennies de junte militaire.

- 4 janvier 1948 : La Birmanie, colonie des Indes britanniques depuis 1885, obtient son indépendance de la Grande-Bretagne. Aung San, héros national et père d'Aung San Suu Kyi, a été assassiné quelques mois plus tôt avec plusieurs membres de son cabinet.

Un premier président birman est élu, Sao Shwe Thaik, de l'importante ethnie shan. Lui succède en 1952 à la présidence Ba U, puis en 1957 Mann Win Maung, de l'ethnie karen.

- 1962 : Après des années de luttes intestines entre factions politiques, le général Ne Win prend le pouvoir par un coup d'État. Il cumule les différentes fonctions de président, premier ministre et président du parti unique défendant la «voie birmane vers le socialisme».

- 1981-1988 : En 1981, Ne Win nomme à sa place à la présidence San Yu. Se succèdent à ce poste en 1988 Sein Lwin, puis Maung Maung, assurant l'intérim quelques semaines, avant que le général Saw Maung n'y accède.

- 1988 : Face à une gestion économique désastreuse et aux répressions politiques, une révolte menée par les étudiants éclate. L'armée réprime dans le sang les manifestations, faisant 3000 morts. Aung San Suu Kyi, qui vit à l'époque en Angleterre, arrive au chevet de sa mère malade, s'engage auprès des protestataires et crée un nouveau parti : la Ligue nationale pour la démocratie (NLD).

- 1989 : Aung San Suu Kyi est placée en résidence surveillée. Elle y passera 15 années au total.

- 1990 : La NLD remporte une victoire écrasante aux élections. Mais le résultat est ignoré par les militaires. Nouvelle vague de répression, emprisonnement ou exil des opposants.

- 1991 : Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix. Elle ne pourra le recevoir qu'en 2012.

- 1992 : Le général Saw Maung est démis de ses fonctions de président par un coup d'État du général Than Shwe, qui devient le nouveau chef de la junte et président non élu.

- 2005 : Les militaires déménagent la capitale de Rangoun à Naypyidaw, une cité administrative fantôme sortie de terre dans le plus grand secret.

- 2007 : Durant l'été, après une hausse brutale du prix de l'essence, la «révolution safran», en partie conduite par des moines bouddhistes, secoue le pays. La junte répond de nouveau par la violence, tuant des dizaines de manifestants.

- 2008 : Le cyclone Nargis fait plus de 130 000 morts, la junte refuse l'aide internationale.

- 2010 : Les généraux organisent des élections, boycottées par la LND et de nombreux autres partis. Moins d'une semaine après les élections, Suu Kyi est libérée après avoir passé 15 des 20 dernières années en résidence surveillée.

- 2011 : Contre toute attente, la junte décide son autodissolution et met en place un régime semi-civil. L'ancien général Thein Sein devient président.

- avril 2012 : Lors d'élections partielles, la NLD remporte 43 sièges sur 45 et fait son entrée au Parlement. Suu Kyi est élue députée. Les États-Unis et l'Europe lèvent de nombreuses sanctions et les investisseurs étrangers affluent vers le pays.

- juin 2012 : Dans l'ouest du pays, en État Rakhine, plus de 200 personnes, notamment des musulmans rohingyas, sont tuées dans des affrontements intercommunautaires.

- novembre 2012 : Barack Obama devient le premier président américain à se rendre en Birmanie. Il rencontre Aung San Suu Kyi à sa résidence.

- novembre 2015 : La Birmanie organise ses premières élections générales libres depuis 1990.

- 20 mars 2016 : Htin Kyaw succède au président Thein Sein et devient le premier président civil depuis 1962.

PHOTO YE AUNG THU, AFP

La nouvelle ministre des Affaires étrangères Aung San Suu Kyi s'entretient dans la bonne humeur avec les ministres des Frontières (le général Ye Aung; 3e en partant de la droite), de la Défense (le général Sein Win; 2e en partant de la droite) et de l'Intérieur (le général Kyaw Swe; à droite). Trois militaires non élus. Au palais présidentiel, à Naypyidaw, le 30 mars.