Htin Kyaw, un fidèle compagnon de dissidence d'Aung San Suu Kyi, est depuis mardi le nouveau président de la Birmanie, le premier civil à ce poste depuis des décennies, chargé de mener en duo avec elle des réformes très attendues.

«C'est la victoire de notre soeur Aung San Suu Kyi!», a déclaré Htin Kyaw dans les couloirs du Parlement, sitôt élu, après un long processus de comptage des votes, retransmis en direct à la télévision et suivi dans tout le pays.

Le vote des députés a validé, sans surprise, le choix du candidat de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), largement majoritaire au sein du Parlement après une victoire éclatante aux législatives de novembre 2015.

Avec cette élection et la constitution d'un gouvernement qui doit enfin entrer en fonction au 1er avril en même temps que le président, le pays va pouvoir tourner la page de décennies de junte, même si les militaires conservent un important rôle politique.

Les Birmans, qui ont participé en masse aux législatives du 8 novembre 2015, attendent avec impatience la mise en place d'une nouvelle politique chargée de transformer un pays ruiné par près de 50 ans de dictature militaire.

C'est sous les applaudissements que Htin Kyaw, intellectuel de 69 ans, fils d'un poète birman renommé et ami d'enfance d'Aung San Suu Kyi, est devenu le premier président civil du pays depuis des décennies.

La Dame de Rangoun a elle-même promis d'être «au-dessus» du président, en un pied de nez à la Constitution héritée de la junte qui la prive de pouvoir être elle-même présidente.

La Constitution interdit en effet la fonction à quiconque a des enfants de nationalité étrangère, ce qui est le cas d'Aung San Suu Kyi, qui a deux fils britanniques.

Les deux autres candidats, présentés par la chambre haute - Henry Van Thio, diplômé en droit et représentant de la minorité ethnique Chin - et celui présenté par les militaires Myint Swe, vont devenir vice-présidents. Ils ont respectivement obtenu 79 voix et 213 voix.

Antipathie des militaires

Jusqu'à la dernière minute, Aung San Suu Kyi a mené des négociations avec les militaires pour faire tomber la barrière de la Constitution, mais en vain.

La fille du général Aung San, héros de l'indépendance assassiné en 1947, jouit d'une population immense dans ce pays pauvre de 51 millions d'habitants, où elle a passé des années en résidence surveillée.

Mais l'antipathie que lui vouent les militaires hauts gradés reste forte.

Ces derniers ont pourtant laissé le pays prendre un nouveau virage depuis l'autodissolution de la junte et la mise en place d'un gouvernement semi-civil en 2011 qui a abouti à la libération de centaines de prisonniers politiques, l'instauration de la liberté de la presse, et une ouverture économique...

Une mini-révolution qui a permis la levée de la plupart des sanctions internationales qui pesaient sur le pays.

Dans ce contexte, Aung San Suu Kyi n'a toujours pas précisé si elle serait elle-même ministre.

«Je ne connais pas vraiment Htin Kyaw, mais je crois très fort en notre mère Suu (Aung San Suu Kyi)», confie Mg Lin, chauffeur de taxi de 32 ans qui a suivi dans un café de Rangoun toute la cérémonie à la télévision.

Pour le nouveau duo qu'elle forme maintenant avec Htin Kyaw, les défis à relever sont toutefois immenses: l'éducation et la santé, comme la plupart des services publics, sont des champs de ruine. Et la guerre civile ravage de nombreuses régions frontalières du pays.

Il leur faudra également composer avec l'armée qui conserve un rôle politique important et garde la main sur trois ministères clés (Intérieur, Défense et celui des frontières).