Le procès de l'ex-première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, accusée de négligence dans un procès largement jugé politique, s'est ouvert vendredi à Bangkok.

L'ancienne chef de gouvernement risque dix ans de prison.

Des dizaines de ses partisans ont bravé pour l'occasion l'interdiction de manifester, en vigueur depuis le coup d'État de mai 2014 ayant renversé son gouvernement.

«Nous aimons Yingluck», ont scandé les manifestants venus la soutenir devant le tribunal, des roses à la main.

Devant une foule de journalistes, elle s'est déclarée «confiante» dans l'issue positive de son procès.

S'ouvrant vendredi sur des auditions de témoins, il devrait durer près d'un an, avec les plaidoiries de la défense en novembre.

Dans l'intervalle, Yingluck n'est autorisée à quitter le territoire que sur autorisation judiciaire. Ses dernières demandes, notamment d'aller s'exprimer à Bruxelles à la suite d'une invitation de députés du Parlement européen, ont été rejetées, a dénoncé sa défense.

Yingluck avait été mise en examen en février 2015 pour négligence après avoir mis en place pendant son mandat un programme de subvention du riz.

Yingluck a toujours défendu sa politique de subvention aux riziculteurs, estimant qu'il s'agissait d'une aide nécessaire pour aider les agriculteurs pauvres qui reçoivent historiquement peu d'aide du gouvernement. Toutefois, bien que populaire dans les bastions ruraux des Shinawatra, ce programme s'est révélé économiquement désastreux et a laissé au pays des stocks massifs de riz invendu.

Ironiquement, après avoir dénoncé un programme de subventions populiste, la junte est en train de mettre en place une politique similaire.

Les cultivateurs d'hévéas, base de la production de caoutchouc naturel, secteur clef de l'agriculture du pays avec le riz, en sont les principaux bénéficiaires.

Cette semaine, le gouvernement a ainsi donné son feu vert à l'achat de milliers de tonnes de caoutchouc naturel au-dessus des prix du marché, sous la pression des agriculteurs.

Arrière-pensées politiques?

Malgré les dénégations de la junte militaire, les accusations d'arrières-pensées politiques sur ce procès sont largement partagées.

La junte militaire, qui a pris le pouvoir en mai 2014 par un coup d'État, est accusée de vouloir sortir définitivement Yingluck du jeu politique, avant d'hypothétiques élections annoncées à l'horizon 2017.

«La junte reste en quête de légitimité. Et "l'affaire Yingluck" lui fournit un prétexte», explique à l'AFP Pavin Chachavalpongpun, un universitaire thaïlandais très critique de la junte, exilé depuis le coup d'État.

Selon lui, «ce procès servira à neutraliser Yingluck», sans pour autant aller jusqu'à une peine de prison ferme. Elle est déjà interdite de politique pour cinq ans.

Car «la junte doit clairement penser à ne pas provoquer les partisans de Yingluck», notamment le puissant mouvement des Chemises rouges, en sommeil depuis le coup d'État, à l'appel de leurs dirigeants.

Ce n'est pas la première fois que la puissante famille Shinawatra, qui a remporté toutes les élections nationales depuis 2001, est l'objet de poursuites dénoncées comme politiques, dans un pays sans tradition de séparation des pouvoirs.

Le frère de Yingluck, Thaksin Shinawatra, ex-premier ministre lui aussi balayé par un coup d'État en 2006 vit en exil depuis plusieurs années pour échapper à une peine de deux ans de prison pour corruption.

Yingluck a prévenu par le passé qu'elle n'avait pas l'intention de fuir pour échapper à la justice.

La Thaïlande, profondément divisée entre pro et anti-Shinawatra, est confrontée à une crise politique récurrente.

Au-delà de la famille Shinawatra, depuis sa prise de pouvoir, l'armée a multiplié les poursuites judiciaires contre ses partisans, notamment en vertu d'une loi controversée de lèse-majesté.

En arrière-fond du coup d'État: la défense de la monarchie, dans un contexte d'incertitude autour de la succession du roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej, âgé de 88 ans et hospitalisé depuis des mois.