L'opposante birmane Aung San Suu Kyi a pris la route de Naypyidaw, la capitale administrative, une semaine après sa victoire historique aux législatives. Mais le plus dur est à venir, notamment une possible résistance des militaires.

La victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) est à la mesure des aspirations au changement au sein d'une population coupée du monde pendant des décennies de junte.

Depuis quatre ans que sont au pouvoir des ex-généraux ayant amorcé les premières réformes, les Birmans ont exprimé leur volonté d'aller plus loin et plus vite.

Le scrutin de dimanche dernier envoie « un signal fort aux militaires pour leur dire: ''les jeux sont faits, votre domination prend fin'' », analyse le politologue Khin Zaw Win, directeur de l'institut d'études Tampadipa de Rangoun et ex-prisonnier politique.

Avec quelque 80 % des sièges de parlementaires élus, le parti d'Aung San Suu Kyi pourra mettre en place des réformes sociales et économiques très attendues, de l'éducation à l'électrification du pays, laissé en ruines par des décennies de gestion militaire.

Lui-même un ancien général, le président birman sortant Thein Sein a réuni dimanche l'ensemble des partis pour les rassurer quant au transfert du pouvoir au « nouveau gouvernement », sa première sortie publique depuis le scrutin.

Aung San Suu Kyi sait néanmoins qu'elle devra manoeuvrer habilement pour faire reculer la domination des militaires.

Négociations la semaine prochaine 

Ce n'est pas par hasard qu'elle a demandé à avoir une entrevue la semaine prochaine à Naypyidaw, la capitale administrative, avec le président Thein Sein mais aussi le chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing.

Celui-ci disposera toujours dans le nouveau parlement d'un contingent séparé de 25 % de députés militaires non élus, une disposition inscrite dans la Constitution.

Impossible dès lors pour Aung San Suu Kyi de changer cette Constitution (qui lui interdit notamment de devenir présidente, car elle a deux enfants de nationalité étrangère) sans le soutien des militaires, leurs 25 % au parlement leur donnant de facto un droit de veto à tout amendement constitutionnel.

Le fait qu'Aung San Suu Kyi ait, avant même le scrutin, annoncé qu'elle serait « au-dessus du président » risque d'agacer les militaires. Car elle crée ex nihilo une fonction « inconstitutionnelle », réduisant le président à un second rôle, souligne Richard Horsey, de l'ONG International Crisis group (ICG).

Outre la nomination des députés militaires, le chef de l'armée sera aussi celui qui nommera les ministres de la Défense et de l'Intérieur du gouvernement formé par Aung San Suu Kyi. Celle-ci ne pourra donc s'attaquer à des problèmes clefs comme les conflits ethniques armés sans l'appui des militaires.

Discipline 

Les militaires ont d'ores et déjà prévenu qu'ils respecteraient le verdict des urnes, le chef de l'armée appelant ses troupes à la « discipline ».

La transition en cours en Birmanie a en effet été planifiée par une junte ayant préferé s'autodissoudre en 2011, plutôt que de se faire renverser par un mouvement de mécontentement face à la « voie birmane vers le socialisme ».

« L'armée a reconnu que le chemin qu'elle suivait n'était pas tenable et qu'elle devrait ouvrir le pays aux investissements extérieurs », puis passer le relais démocratique, rappelle Richard Horsey.

Mais de nombreuses choses peuvent se passer en coulisses dans les prochains mois d'entre-deux.

La Birmanie a en effet un système politique qui prévoit que les nouveaux parlement et gouvernement n'entrent en scène qu'en février ou mars.

Pour l'heure, Aung San Suu Kyi est concentrée sur ces négociations avec les militaires et anciens militaires, en marge de la reprise de la session parlementaire lundi.

En parallèle, elle travaille à son plan d'action gouvernementale, autre embûche de taille sur laquelle son efficacité sera testée.

« La LND a remporté un succès exceptionnel aux élections. Mais il y a de fortes chances que son gouvernement échoue s'il ne prend pas ces mesures nécessaires » de concertation avec des technocrates et conseillers techniques ayant une expérience du pouvoir, estime l'analyste Khin Zaw Win.