Deux Malaisiens et un Pakistanais ont été interpellés en Malaisie dans le cadre de l'enquête sur l'attentat perpétré à Bangkok en août, a indiqué lundi le chef de la police de ce pays d'Asie du Sud-Est ayant une frontière avec la Thaïlande.

«Nous aidons la police thaïlandaise concernant cette enquête. Nous estimons que ces trois personnes peuvent nous aider dans le cadre de l'enquête», a déclaré le chef de la police malaisienne, Khalid Abu Bakar, cité par le site du quotidien The Star.

Les trois individus ont été placés en garde à vue «il y a quelques jours», selon le journal qui ne fournit aucun élément sur leurs identités.

Les autorités malaisiennes n'envisagent pas pour le moment de remettre ces personnes à la police thaïlandaise, a ajouté Khalid Abu Bakar.

«Nous travaillons ensemble avec nos collègues thaïlandais. Laissez-nous d'abord enquêter sur cette affaire», a-t-il encore dit.

L'attentat du 17 août, qui a visé le sanctuaire hindouiste d'Erawan, au coeur de Bangkok, a fait 20 morts et plus de 120 blessés. L'attaque n'a toujours pas été revendiquée et le mystère demeure autour de ses motivations.

Les autorités thaïlandaises détiennent deux suspects étrangers dont la nationalité n'a pas été confirmée jusqu'ici, et d'autres personnes sont recherchées.

Le tabou ouïghour

Près d'un mois après l'attentat meurtrier de Bangkok, la minorité ouïghoure de Chine voisine est au premier rang des suspects. Mais les autorités thaïlandaises hésitent à désigner clairement une piste qui met Pékin mal à l'aise.

«Il y a sans aucun doute une connexion ouïghoure ou avec les nationalistes turcs», défenseurs de cette minorité se disant persécutée par Pékin, analyse Zachary Abuza, expert de l'Asie du Sud-Est.

Au départ, la piste ouïghoure n'était qu'une hypothèse, basée sur le fait qu'une centaine de membres de cette communauté de musulmans turcophones fuyant la Chine y avaient été renvoyés par la Thaïlande en juillet.

S'ajoutait à cela le fait que le sanctuaire hindouiste visé par l'attentat du 17 août est prisé des touristes chinois, nombreux parmi les 20 morts et plus de 120 blessés.

Mais ces derniers jours, des indices sont venus s'ajouter. Tout d'abord, l'un des deux suspects interpellés, Yusufu Mieraili, voyageait avec un passeport chinois, avec comme lieu de naissance le Xinjiang, région de l'ouest de la Chine où vit cette minorité musulmane turcophone.

Le Bangladesh a confirmé le passage par son territoire d'un autre suspect chinois, Abudusataer Abudureheman, identifié samedi comme «ouïghour» par la police thaïlandaise.

Mais, signe de la valse-hésitation de Bangkok dans cette enquête, juste après cette révélation, la police a appelé les journalistes à ne plus prononcer le mot «Ouïghour».

Si ces indices ne permettent pas de tirer de conclusions, plusieurs experts jugent la piste crédible.

Éruption de colère en juillet

Le renvoi du groupe de 109 Ouïghours en juillet vers Pékin avait suscité le saccage du consulat de Thaïlande à Istanbul. Une «éruption de colère» ayant pu porter en germe l'attentat de Bangkok, analyse Anthony Davis, d'IHS Jane's, spécialisé dans les questions de défense et de sécurité.

Les images de ces Ouïghours déportés par avion vers Pékin, avec des cagoules sur la tête, ont pu être «la goutte qui a fait déborder le vase» et donner l'idée de l'attentat à des groupes pro-ouïghours en Turquie, ajoute l'analyste, qui a été l'un des premiers à émettre la piste d'une vengeance ouïghoure.

Cette minorité n'ayant pour l'heure jamais commis d'attaque hors de Chine, cela marquerait un tournant dans leur stratégie, particulièrement inquiétant pour Pékin.

Alors que les Chinois sont nombreux parmi les millions de touristes visitant la Thaïlande chaque année, Bangkok éviterait de prononcer le mot «Ouïghour» pour rassurer Pékin, un de ses rares alliés depuis le coup d'État de mai 2014.

«La Thaïlande a les poings liés par sa dépendance envers Pékin», estime l'analyste Pavin Chachavalpongpun, spécialiste de la politique du royaume et ancien diplomate. La Chine pour sa part est inquiète que sa population se sente une cible à l'étranger.

La semaine dernière, le journal chinois Global Times, contrôlé par l'État, a cité une source évoquant la piste ouïghoure dans l'attentat de Bangkok. Mais l'article en ligne a été rapidement retiré du site.

En juillet, Pékin avait assuré que les Ouïghours renvoyés par la Thaïlande étaient sur la route de la Turquie, de la Syrie ou de l'Irak, pour y «mener le djihad».

«Je pense que la Chine attend des autorités thaïlandaises qu'elles lui donnent un rapport complet avant de pointer du doigt les soi-disant terroristes ouïghours», analyse Willy Lam, de l'Université chinoise de Hong Kong.

Barry Sautman, de la Hong Kong University of Science and Technology, explique que Pékin évite généralement de pointer ouvertement du doigt les Ouïghours, afin de minimiser le problème des tensions ethniques dans le pays. Le fait que les Thaïlandais hésitent à prononcer le mot est en soi «une indication que le gouvernement chinois est déjà impliqué», affirme-t-il.

Le Congrès mondial ouïghour, lobby pro-ouïghour, s'inquiète quant à lui des risques de représailles contre les quelque 3000 Ouïghours vivant en Thaïlande, depuis que la communauté fait figure de suspect numéro un. Interrogé par l'AFP, Dilxat Raxit, représentant du Congrès, dit «espérer que la police thaïlandaise fournira des informations transparentes».

- Avec Aidan Jones et Jerome Taylor