La gestion des déflagrations de Tianjin présente la plupart des caractéristiques habituelles de la réaction de Pékin face aux catastrophes: le débat est étouffé, les autorités jouent la dissimulation et des médias soigneusement sélectionnés sont voués aux gémonies.

Avec des effets contreproductifs, estiment des analystes, qui notent moins de transparence que lors de précédents désastres, et de possibles conflits aux plus hauts niveaux du pouvoir.

Les explosions survenues le 12 août dans un entrepôt de produits chimiques ont fait 114 victimes. Les risques d'une contamination de grande ampleur ne sont pas écartés.

Les autorités centrales ont l'habitude d'insister sur le caractère local des catastrophes, soulignant les responsabilités individuelles plutôt que la responsabilité du système de gouvernance. Sur internet, la moindre critique est rapidement supprimée.

Pékin a puni 50 sites web et 360 comptes sur les réseaux sociaux pour avoir «répandu des rumeurs». Mais les autorités ont été critiquées sur internet pour ne pas avoir donné de détails sur l'explosion, et sur la nature des produits présents.

«La transparence des informations n'a pas été satisfaisante», estime Joseph Cheng, ancien professeur de sciences politiques à l'université de la ville de Hong Kong.

«Les catastrophes d'origine humaine comme l'explosion de Tianjin montrent que la société n'est pas bien gérée, parce que les règles de sécurité ne sont pas appliquées et la corruption est endémique».

Délai «étrange»

La Chine a aussi été régulièrement confrontée à des catastrophes naturelles ces dernières années et l'ancien Premier ministre Wen Jiabao avait initié la tradition de se rendre rapidement sur le terrain pour signifier l'implication du gouvernement.

Son successeur, l'actuel Premier ministre Li Keqiang, l'avait imité, mais cette fois-ci, il ne s'est rendu sur place que quatre jours après.

Un délai «très étrange» pour Willy Lam, professeur de sciences politiques à l'université chinoise de Hong Kong.

«Que ce soit pour des catastrophes naturelles ou des accidents humains, on avait l'habitude de voir «Grand-père Wen» (Jiabao) sur les lieux sous 48 heures», remarque-t-il.

Lorsqu'un traversier avait chaviré en juin dernier, faisant 442 victimes, Li s'était précipité sur place dès le deuxième jour après l'accident. Quand un tremblement de terre avait fait plus de 600 morts en août dernier, sa visite de plusieurs jours sur le terrain avait été copieusement relayée par les médias d'État.

«Ce délai laisse penser qu'il y a des divisions au sommet quant à celui qui devrait démissionner».

«Aujourd'hui la plupart des dirigeants ne prennent pas leurs responsabilités, parce qu'ils ont peur de perdre leur poste», accusait un utilisateur du site de microblogue Weibo.

Répondre ou non de ses actes

Les responsabilités varient. Après le déraillement d'un train à Wenzhou en 2011, qui avait terni la réputation du réseau ferré à grande vitesse du pays, le ministère des Chemins de fer avait été démantelé.

En 2013, après l'explosion d'un oléoduc qui avait fait 62 morts à Qingdao, 48 personnes avaient subi des mesures disciplinaires. Seules quinze d'entre elles avaient fait l'objet de poursuites judiciaires.

Il n'y a eu en revanche aucune poursuite après la mort de plus de 5000 enfants lors du tremblement de terre historique au Sichuan en 2008, quand des écoles mal construites s'étaient effondrées, à la différence des bâtiments officiels.

À Tianjin, Li Keqiang a lui-même déclaré à une télévision de Hong Kong: «nous devons enquêter sur l'accident, en trouver les causes et quiconque se sera rendu coupable d'agissements illégaux sera puni sévèrement».

Les autorités ont été sévèrement mises en cause pour avoir échoué à respecter la règlementation, en particulier celle qui veut que les entrepôts contenant des produits dangereux soient situés à au moins un kilomètre des quartiers d'habitation.

En fait, dit Willy Lam, le rang de la personne qui sera poursuivie sera proportionnel au bilan de la catastrophe.

«Si le bilan est inférieur à 200, alors seul le maire adjoint de Tianjin chargé de la sécurité devra démissionner», dit-il. «C'est le bouc émissaire évident».

Le maire actuel de Tianjin est cependant considéré par les analystes comme appartenant à la faction «Zhejiang», proche du président Xi Jinping. D'après M. Lam, cette proximité pourrait le protéger de tout châtiment, ou en limiter la portée.

En attendant, une enquête a été ouverte contre Yang Dongliang, directeur de l'Administration chargée de la sécurité au travail, pour «violations graves présumées de la discipline et de la loi», des termes habituellement réservés à des faits de corruption.

«La Chine est encore loin d'être un pays développé et bien géré», conclut M. Cheng.