Les projets de loi de défense controversés du premier ministre japonais Shinzo Abe, destinés à renforcer le rôle militaire du Japon sur la scène internationale, ont été votés jeudi en session plénière de la Chambre basse.

Cette réinterprétation de la Constitution pacifiste, qui rendrait possible l'envoi à l'extérieur des Forces d'autodéfense - le nom officiel de l'armée - pour venir en aide à un allié, en premier lieu les États-Unis, rencontre une vive opposition dans le pays.

Après une série de discours enflammés de députés, les partis d'opposition ont boycotté le scrutin et les textes ont été adoptés par la coalition au pouvoir de M. Abe.

«Le contexte de sécurité dans lequel se trouve le Japon est de plus en plus difficile», a déclaré le chef du gouvernement à la presse après le vote, dans une apparente allusion à la puissance grandissante de la Chine.

«Ces lois sont nécessaires pour protéger la vie des Japonais et prévenir une guerre avant qu'elle n'éclate», a-t-il ajouté.

Pékin a réagi quelques heures seulement après le vote des députés japonais, le qualifiant d'«acte sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale».

«Nous exhortons le Japon à tirer les leçons de l'Histoire, à demeurer sur la voie du développement pacifique, à respecter les préoccupations majeures de sécurité de ses voisins asiatiques et à s'abstenir de menacer la souveraineté de la Chine», a déclaré dans un communiqué Mme Hua Chunying, porte-parole de la diplomatie chinoise.

Les projets de loi doivent à présent passer en Chambre haute où ils devraient normalement être soumis au débat pendant un maximum de 30 jours.

Bien que la coalition de M. Abe ait la majorité également à la Chambre haute, les commentateurs estiment possible que celle-ci rejette les textes ou les modifie. Cependant, la Chambre basse peut ensuite revenir sur ces changements avec une majorité des deux tiers, largement à la portée du camp au pouvoir.

«Le passage forcé de ces lois laisserait une tache sur la démocratie d'après-guerre du Japon. Je vous demande avec force d'annuler ce vote et de retirer ces projets de loi, qui sont anticonstitutionnels», avait déclaré pendant la séance, à l'adresse du premier ministre, le chef de l'opposition, Katsuya Okada.

«Qu'un gouvernement fasse usage de son seul jugement pour changer l'interprétation de la Constitution (...) sans véritable débat parlementaire ni réelle compréhension du public est une grave erreur. Monsieur le premier ministre, votre méfait est trop grave pour être ignoré», avait-il aussi lancé.

Contestation inédite

Quelque 60 000 personnes, selon les organisateurs, ont participé à une manifestation devant le Parlement mercredi soir, après l'adoption en commission de ces réformes.

Des échauffourées sont survenues lorsque la police a repoussé les manifestants, et deux hommes âgés d'une soixantaine d'années, soupçonnés d'avoir agressé des policiers, ont été arrêtés, ont rapporté les médias japonais.

Les manifestations au Japon sont généralement de faible ampleur et très tranquilles. Mais cette réinterprétation de la loi fondamentale pacifiste qui avait été imposée après la guerre par les Américains, a déchaîné les passions.

Pour les pacifistes, l'initiative de Shinzo Abe va à l'encontre de l'article 9 de la Constitution, qui bannit le recours à la guerre, et risque d'entraîner le Japon dans une «guerre américaine», au Moyen-Orient notamment. Actuellement, l'armée nippone ne peut agir que dans le cas d'une offensive externe sur le territoire japonais.

Le premier ministre jure, lui, que le Japon «ne participera pas à des conflits comme la guerre du Golfe ou la guerre d'Irak».

La contestation contre le projet de M. Abe, ouvertement nationaliste, attire des jeunes, mais aussi des aînés qui n'avaient jamais participé à des manifestations ou y reviennent pour la première fois depuis les mouvements des années 1960-70.

En dépit des nombreuses voix qui s'élèvent contre cette relecture de la Constitution jugée «inconstitutionnelle» par de nombreux experts, Shinzo Abe et son Parti libéral démocrate (PLD) sont bien décidés à faire passer les textes au plus vite.

Afin de garantir leur adoption malgré les navettes entre les deux chambres, la session parlementaire a été prolongée de 95 jours, jusqu'au 27 septembre, ce qui n'était jamais arrivé dans le passé.