L'opposante birmane et prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi a entamé mercredi une première et délicate visite en Chine, longtemps soutien actif de ses geôliers, mais désormais décidée à courtiser celle dont le parti est aux portes du pouvoir.

Qualifiée d'«historique» par la presse officielle chinoise, la visite de l'icône du combat démocratique en Birmanie répond à une invitation du Parti communiste chinois (PCC), visiblement soucieux de ménager l'avenir des relations, passablement malmenées ces dernières années, avec son voisin du sud.

Au cours de cette longue visite - elle durera jusqu'à dimanche -, Aung San Suu Kyi devrait être reçue par le président chinois Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang, a indiqué son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dont une délégation l'accompagne.

Vêtue d'un haut blanc et d'une écharpe rose, la «Dame de Rangoun», accompagnée de son assistante et de deux députés de la LND, a immédiatement quitté l'aéroport de Pékin, entourée d'une imposante sécurité, dans une limousine noire à destination du Diaoyutai, la résidence officielle réservée aux hôtes de marque du gouvernement chinois.

Aucun détail n'a été fourni du côté chinois sur cette visite, mais le porte-parole de la diplomatie chinoise, Hong Lei, a déclaré mercredi en attendre «un renforcement de la confiance et de la compréhension mutuelle», ainsi qu'une «coopération concrète dans plusieurs domaines» entre les deux pays.

«Virage» et «pragmatisme»

C'est «un geste d'ouverture de la part de Pékin», a souligné le quotidien officiel Global Times, pour qui ce «virage stratégique» démontre «l'approche pragmatique de la diplomatie» chinoise.

La LND est donnée grand gagnant aux législatives prévues fin 2015 et «Suu Kyi cherche à devenir candidate à la présidentielle», relève le journal proche du PCC, bien que la Constitution actuelle l'en empêche, car elle a été mariée à un étranger.

Par cette invitation, Pékin semble prendre d'ores et déjà ses distances d'avec le gouvernement du président Thein Sein et vouloir s'attirer les bonnes grâces d'une figure de premier plan en Birmanie et au niveau international, notent les analystes.

Suu Kyi, qui aura 70 ans le 19 juin, a passé quelque 20 années en résidence surveillée ou en prison sous la junte militaire, un régime qui a reçu le soutien politique et économique de Pékin jusqu'à son autodissolution en 2011.

L'invitation de Suu Kyi marque également la volonté chinoise de contrer l'offensive diplomatique américaine pour faire rentrer la Birmanie dans sa sphère.

Lors de sa dernière visite dans le pays, en novembre 2014, le président américain Barack Obama avait ostensiblement consacré plus d'attention à l'opposante qu'au président Thein Sein.

Depuis 2011, «le gouvernement a rapidement perdu le contrôle sur la société», estimait un récent éditorial de la presse chinoise, et Pékin doit maintenant partager le marché birman avec les investisseurs occidentaux.

Plusieurs gros projets d'investissement chinois ont ainsi été «entravés par le gouvernement birman», a souligné mercredi un commentateur dans le Global Times.

Une «bonne amie de la Chine»? 

L'ancienne prisonnière politique pourrait plaider auprès des dirigeants chinois la cause du Nobel de la Paix 2010, l'écrivain dissident Liu Xiaobo, qui purge une peine de 11 ans de prison depuis 2009.

Cette «première» en Chine du Nobel 1991 intervient alors que cette fervente bouddhiste est questionnée sur la scène internationale - y compris par le dalaï-lama - sur son silence dans la crise des migrants en Asie du Sud-Est, membres de la minorité musulmane persécutée des Rohingya de Birmanie pour beaucoup.

Mais «Suu Kyi est tout à son combat pour essayer de gagner les élections. Vu l'enjeu, elle sera rigoureusement pragmatique et elle ne peut pas se permettre de céder à des sentiments indus», a estimé Nicholas Farrely, spécialiste de la Birmanie à l'Université nationale d'Australie.

«Elle sait que la Chine jouera un rôle déterminant dans l'avenir de la Birmanie», a-t-il ajouté.

«Elle deviendra une bonne amie de la Chine», pariait l'éditorial du Global Times, relevant son «attitude pragmatique» à l'égard des contentieux commerciaux bilatéraux.

Sa visite intervient par ailleurs après une série de tensions à la frontière entre les deux pays, dans la région de Kokang, où l'armée birmane combat des rebelles d'une ethnie chinoise.

L'armée chinoise a organisé la semaine dernière des exercices de l'autre côté de la frontière.