Le silence de la prix Nobel de la Paix birmane Aung San Suu Kyi sur la crise des migrants musulmans rohingya fuyant son pays, par pragmatisme politicien selon des analystes, ébranle son aura internationale.

Alors que la Birmanie a été pointée du doigt dans la crise des migrants en Asie du Sud-Est lors d'une réunion régionale vendredi, l'opposante birmane reste muette.

Le dalaï-lama, entre autres personnalités, l'a pourtant appelée à sortir de sa réserve.

«J'espère qu'Aung San Suu Kyi, en tant que prix Nobel, pourra faire quelque chose», a lancé le dalaï-lama dans une interview à un journal australien cette semaine.

«Nous avons la responsabilité de faire en sorte que les souffrances des Rohingya ne soient pas passées sous silence», avait déclaré de son côté mardi l'archevêque et prix Nobel sud-africain Desmond Tutu dans une vidéo diffusée à Oslo lors d'une conférence consacrée aux Rohingya.

L'opinion publique internationale s'est émue ces dernières semaines du drame de la minorité apatride des Rohingya, estimée à 1,3 million de personnes en Birmanie, qui n'a accès ni aux écoles, ni aux hôpitaux, ni au marché du travail.

Le problème n'est pas récent, mais l'abandon en mer de milliers de réfugiés de la mer rohingya par leurs passeurs, paniqués par une désorganisation des voies de transit par la Thaïlande voisine depuis début mai, a fait la une des journaux.

Le dalaï-lama rappelle avoir déjà «mentionné ce problème» avec Aung San Suu Kyi par le passé, se voyant opposer que «les choses» sont «compliquées». «Mais en dépit de tout ça, je crois qu'elle peut faire quelque chose», insiste-t-il.

Depuis le début de la crise, Aung San Suu Kyi continue à participer aux sessions parlementaires à Naypyidaw, la capitale administrative birmane. Le 19 mai, elle a seulement répondu à des journalistes parlementaires: «Le gouvernement doit résoudre ce problème».

«Aung San Suu Kyi est une déception», critique Phil Robertson, représentant de l'ONG Human Rights Watch en Asie, s'interrogeant sur ce qui reste aujourd'hui de la femme qui reçut le Prix Nobel de la paix en 1991.

À l'époque, Aung San Suu Kyi avait un statut d'icône de la démocratie, ayant fait le sacrifice de sa vie privée, ayant passé plus de quinze ans en résidence surveillée, de 1989 à 1995, puis de 2000 à 2010.

Des années qui l'ont tenue éloignée de deux fils, élevés en Grande-Bretagne par leur père, mort depuis d'un cancer, sans avoir revu sa femme.

Mais en 2011 tout change. Après l'autodissolution de la junte, Aung San Suu Kyi, devenue députée, a peu à peu policé son discours.

Et l'opinion internationale n'est pas sa priorité actuelle, à l'approche des législatives de novembre, auxquelles son parti, la Ligue nationale pour la démocratie, est donné grand gagnant.



«Aucun intérêt» à s'exprimer

La communauté internationale «espère qu'Aung San Suu Kyi s'exprimera plus sur les droits des Rohingyas», confirme à l'AFP un diplomate occidental en poste à Rangoun. Mais «elle ne voit aucun intérêt pour elle-même ou pour son parti à s'exprimer sur un dossier de politique intérieure si sensible et complexe», ajoute-t-il.

Selon certains analystes, elle est prise au piège de son obsession de ménager une opinion publique birmane marquée par un puissant nationalisme bouddhiste antimusulman. Des émeutes interreligieuses en 2012 en État Rakhine, région où vit la majorité des Rohingyas, ont fait plus de 120 morts.

«S'exprimer n'est pas une option pour elle pour l'heure», analyse Maël Raynaud, spécialiste de la politique birmane.

Une prise de défense ouverte des Rohingyas «serait probablement le seul cas de figure qui lui ferait risquer de perdre les élections», analyse-t-il.

Aung San Suu Kyi est confrontée à un choix de «realpolitik», avec une opinion publique traversée par un sentiment antimusulman croissant, qui voit les Rohingyas comme des immigrés du Bangladesh voisin, même si nombre d'entre eux sont installés dans le pays depuis des générations.

Plutôt qu'un «simple calcul politicien», l'analyste Renaud Egreteau voit dans cette «discrétion» le reflet de «la gêne et de l'incompréhension des élites birmanes», au-delà de Suu Kyi, en proie à «un malaise et une méconnaissance de l'autre plutôt qu'un simple calcul électoraliste».

La Birmanie accuse l'ONU de la «stigmatiser»

La Birmanie a accusé vendredi l'ONU de la «stigmatiser» en pointant du doigt sa «responsabilité» lors d'un sommet sur la crise des migrants en Asie du Sud-Est à Bangkok.

«Vous ne pouvez pas stigmatiser mon pays», a lancé le chef de la délégation birmane, Htin Lynn, visiblement énervé par des remarques du représentant de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).