Même ceux dont la maison tient encore debout n'osent plus y dormir. Les blessés se précipitent à l'extérieur des cliniques dès que le sol se remet à vibrer. Trois jours après le séisme de samedi, les Népalais vivent dans la peur, alors que l'aide commence à arriver.

Plus de 4000 morts et 7000 blessés. C'était, au moment de publier ces lignes, le plus récent bilan du séisme qui a dévasté le Népal samedi. Et il ne tient pas compte des probables victimes dans des villages isolés encore inaccessibles aux secours.

«On n'a pas vraiment une bonne idée de ce qui se passe [à l'intérieur du pays]», s'inquiète le Québécois Jean-Jacques Simon, du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), que La Presse a joint à Katmandou, la capitale, où il vit.

La centaine d'employés de l'agence de l'ONU installée au Népal est déjà à pied d'oeuvre et distribue de l'eau potable, des tentes et des médicaments aux milliers de gens qui se sont réfugiés dans des camps improvisés sur des terrains vacants.

«Les gens refusent de retourner dans leur maison parce qu'ils ont peur que de nouvelles secousses créent de nouvelles tragédies», dit Jean-Jacques Simon, de l'UNICEF.

La distribution d'eau est particulièrement importante pour des raisons d'hygiène, puisque «l'eau permet de prévenir l'apparition de maladies», explique M. Simon. D'autant plus qu'elle se fait rare à Katmandou, privé d'électricité depuis le séisme.

L'UNICEF évalue par ailleurs à 3 millions le nombre d'enfants qui ont besoin d'une aide directe ou indirecte. «C'est clair qu'il y a des enfants qui ont perdu leurs parents», se désole le travailleur humanitaire.

«Le ciment tombait des murs»

La peur qui tenaille les habitants de Katmandou est aussi palpable à Pokhara, deuxième ville du pays et porte d'entrée de l'Himalaya, située à équidistance de l'épicentre.

«Les gens sont stressés, plusieurs dorment dehors» a raconté à La Presse Jolyane Bérubé, une Québécoise qui séjourne au Népal. «L'hôtel nous a servi les repas au jardin depuis samedi.»

Pourtant, l'impact du séisme y a été moins important que dans la capitale. «Ici, les bâtiments sont solides et ça a bien tenu», explique Mme Bérubé, ajoutant ne pas avoir constaté de pénurie d'eau ou de nourriture.

La jeune femme a néanmoins eu très peur, samedi. «Tout s'est mis à trembler, le ciment tombait des murs et on est sortis à la hâte, se souvient-elle. On s'est mis au milieu de la cour et le sol bougeait, la plupart pleuraient en se tenant les uns les autres pour essayer de rester debout et de se réconforter.»

Opération «massive»

Le petit aéroport de Katmandou, seul aéroport international du Népal, fait face à un intense achalandage depuis la tragédie. Les secours qui débarquent y croisent les gens qui veulent fuir le pays... ainsi que des milliers de rescapés à la recherche d'un toit.

Les avions qui amènent des équipes de secouristes munies d'équipements spéciaux et de chiens renifleurs feront maintenant place à ceux transportant de l'aide alimentaire et médicale pour une opération humanitaire qui sera «massive», a déclaré hier une porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), Elisabeth Byrs, à l'Agence France-Presse. «On mobilise tous nos stocks de nourriture dans la région», dit Mme Byrs.

Cette autre agence de l'ONU espère pouvoir faire atterrir aujourd'hui un premier avion chargé de rations alimentaires qui n'ont pas besoin d'être cuisinées, alors que l'UNICEF attend pour sa part deux appareils apportant du matériel médical.

«Je suis allé dans un centre de santé, hier, et c'est terrible: il n'y a pas assez de personnel médical, ils travaillent comme c'est pas possible et ils manquent de médicaments», affirme Jean-Jacques Simon, ajoutant que certains patients sont même traités dans la rue.

Le Centre d'études et de coopération internationale (CECI) de Montréal, qui dispose d'un bureau à Katmandou, s'affaire aussi à évaluer les besoins en vue du déploiement d'une aide d'urgence.

L'organisme, dont la quinzaine d'employés sur place est saine et sauve, possède une expertise en opération post-tremblement de terre, notamment pour la reconstruction et l'aide à la subsistance.

Une Canadienne retrouvée

La jeune femme d'Ottawa qui manquait à l'appel au Népal a finalement donné signe de vie, hier. Faye Kennedy, 32 ans, se trouvait dans le parc national de Langtang au moment du séisme. «Je suis maintenant à Katmandou parce que j'ai été placée en priorité sur l'hélicoptère étant donné que j'étais blessée, mais je suis OK», a-t-elle écrit dans un courriel à sa famille, sans donner plus de détails sur la nature de ses blessures. Au moins six autres Canadiens manquent toujours à l'appel.

Répliques et glissements de terrain redoutés

Pendant que les secouristes convergent vers les zones dévastées du Népal, les scientifiques ont les yeux braqués sur deux choses. D'abord les répliques, qui risquent de se poursuivre au cours des prochaines semaines. Mais surtout les glissements de terrain, qui ont probablement emporté des villages entiers et pourraient faire des milliers de morts supplémentaires.

Le séisme qui a secoué le sol au Népal samedi a probablement engendré des milliers de glissements de terrain dans la région. Et ceux-ci pourraient perdurer pendant des mois et provoquer des milliers de morts supplémentaires si on n'y prend garde, avertissent les experts.

On ne connaît pas encore le bilan des morts au Népal. Mais selon Alexander Densmore, spécialiste des glissements de terrain à l'Université Durham, au Royaume-Uni, il faut s'attendre à ce que les glissements de terrain soient à terme responsables de 25 à 50% des décès.

«C'est ce qu'on a observé lors de tremblements de terre qui sont aussi survenus dans des zones montagneuses, comme celui du Cachemire en 2005 et de Wenchuan (Chine) en 2008», a expliqué le spécialiste dans un échange de courriels avec La Presse.

Villages emportés?

Pendant qu'on compte les morts à Katmandou, les chercheurs redoutent qu'on découvre une véritable tragédie au nord de la capitale, où des villages perchés à flanc de montagne ont sans doute été emportés et des vallées pourraient être coupées du monde à cause des glissements de terrain.

Les chercheurs ont dressé des cartes qui détaillent les zones les plus susceptibles d'avoir été atteintes par les glissements de terrain (là où les pentes sont les plus fortes et où les secousses ont été les plus violentes).

«Nous essayons de confirmer cette analyse avec des images satellites, mais il est difficile d'obtenir de bonnes images qui ne sont pas obscurcies par les nuages», explique Alexander Densmore, de l'Université Durham.

Les sismologues s'attendent à ce que le sol tremble encore pendant quelques semaines au Népal. La pression provoquée par les plaques tectoniques indienne et eurasiatique qui poussent l'une sur l'autre s'est relâchée un peu avec le tremblement de terre. Mais comme tout a bougé, d'autres zones de tension se sont formées et le sol doit retrouver un nouvel équilibre.

«Dans la semaine qui vient, il faut s'attendre à une dizaine de tremblements de terre d'une magnitude de 5 ou plus», dit Jean-Claude Mareschal, professeur au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère à l'UQAM.

Selon Maurice Lamontagne, sismologue à la Commission géologique du Canada, les Népalais resteront sur les dents pendant encore quelques semaines.

Le fait que l'épicentre du séisme soit survenu à 70 km de Katmandou peut laisser penser que la situation aurait pu être pire. Il n'en est rien. En fait, explique l'expert Maurice Lamontagne, le séisme s'est propagé le long d'une faille qui passe directement sous la capitale, et à moins de 10 km de la surface.

Autre facteur aggravant: Katmandou est niché dans une vallée dont le sol est fait d'argile, un matériau qui a amplifié les ondes sismiques.

- Philippe Mercure