En 2012, le viol collectif et la mort d'une étudiante ont réveillé un volcan de colère en Inde. Deux ans plus tard, un documentaire portant sur le même crime sordide soulève tout autant les passions. Les enjeux en cinq temps.

Le crime



Une étudiante en médecine de 23 ans, Jyoti Singh, et un ami, Awindra Pandey, rentrent du cinéma le 16 décembre 2012 et montent à bord d'un autobus privé. Une fois dans le véhicule, Jyoti et son ami sont sauvagement agressés par 6 hommes, dont un adolescent de 17 ans. L'ami est battu violemment alors que la jeune femme est violée à répétition. Les agresseurs s'acharnent sur ses organes internes avec une barre de fer. Pensant leurs victimes mortes, les malfrats jettent leurs corps à la rue. M. Pandey survit, mais Jyoti Singh meurt le 29 décembre dans un hôpital de Singapour.

La rage



Dès que la nouvelle du viol collectif s'ébruite, d'immenses manifestations se mettent en branle à New Delhi, puis ailleurs en Inde. Elles dureront près d'un mois. Les participants demandent justice pour Jyoti, qu'ils appellent «la fille de l'Inde», mais dénoncent aussi la culture de viol et l'impunité qui prévalent dans le pays. Devant l'éclat de rage sans précédent, 2000 policiers sont assignés à l'affaire et écrouent les six malfaiteurs. Une commission est mise sur pied et revoit les lois sur le viol, jugées antédiluviennes. Les peines pour les violeurs deviennent plus lourdes.

Le documentaire



Leslee Udwin, une réalisatrice britannique, entreprend dès 2013 le tournage d'un documentaire. Elle interviewe l'un des six hommes accusés du viol et du meurtre, Mukesh Singh. «La fille est plus responsable du viol que le garçon, dit-il. Quand elle a été violée, [Jyoti] n'aurait pas dû se débattre. Ils l'auraient laissée partir après lui avoir passé dessus», explique-t-il sans remords. En 2013, quatre des accusés, dont M. Singh, ont été condamnés à mort et en ont appelé de la décision. L'accusé, mineur, se voit imposer une peine de trois ans. Quant au principal agresseur, il a été trouvé mort dans sa cellule avant de recevoir sa peine.

La censure



Le film India's Daughter (La fille de l'Inde) devait être diffusé en Inde et partout dans le monde le 8 mars, Journée internationale de la femme. La diffusion d'extraits du film le 1er mars ravive la controverse et le 4 mars, le gouvernement indien l'interdit en Inde. Le ministre des Affaires parlementaires qualifie le film de «complot mondial» visant à ternir l'image de son pays. Un groupe de féministes indiennes s'opposent aussi à la diffusion, s'inquiétant notamment des propos misogynes du violeur et de deux de ses avocats.

La riposte



Rappelant qu'une Indienne est violée toutes les 20 minutes, la réalisatrice défend son film. «Le film veut montrer que la maladie n'est pas le violeur, c'est la société», écrit Mme Udwin. La BBC présentera le film demain soir au Royaume-Uni. Au Canada, India's Daughter sera diffusé en anglais à CBC à 22h demain. Le documentariste montréalais Patricio Henriquez, qui a par le passé interviewé des tortionnaires, croit que la diffusion est nécessaire. «Quand on n'entend pas ce qu'un [criminel] a à dire, on prépare le terrain pour d'autres. Il faut comprendre ce qui mène au geste et agir en conséquence.»