Les affrontements se poursuivaient dimanche entre les forces de l'ordre et des milliers d'opposants pakistanais exigeant la démission du premier ministre Nawaz Sharif au terme d'une nuit de violences ayant fait trois morts et plus de 480 blessés au pied du Parlement.

Dimanche, le centre de la capitale Islamabad avait des airs de zone de combat exaltée par le parfum piquant de gaz lacrymogène. Assiégés par des milliers de policiers, les manifestants barricadés derrière des conteneurs géants tenaient la vaste esplanade devant le Parlement émaillé de nouveaux accrochages.

Des hommes munis de gourdins jetaient des pierres aux policiers et se préparaient à une intensification des heurts au cours de la nuit.

«Nous continuerons la lutte, tant que le premier ministre n'aura pas démissionné», a assuré Muhammad Rashid Shahid, un manifestant, convaincu que la «révolution» est à portée de main, alors que plus loin, à environ deux kilomètres du théâtre des affrontements, le véhicule de trois employés de l'ONU a été attaqué par des protestataires.

Les partisans des opposants Imran Khan, ex-joueur de cricket reconverti en homme politique nationaliste, et Tahir ul-Qadri, un chef religieux établi au Canada, campent depuis le 15 août dans la capitale pakistanaise pour exiger la démission du premier ministre Sharif qu'ils accusent de fraudes électorales.

Samedi soir, les deux opposants ont été encore un peu plus loin dans la contestation, en appelant leurs partisans à se rendre à la résidence officielle du premier ministre Sharif.

Quelque 25 000 manifestants se sont mis en marche. Une partie d'entre eux ont déployé une grue mobile afin de déplacer quelques conteneurs qui bloquaient l'accès à la résidence, située non loin de «l'enclave diplomatique», zone sécurisée où sont établies les principales ambassades.

Devant l'afflux de manifestants, dont certains munis de bâtons ou de lance-pierres, la police pakistanaise a eu recours au gaz lacrymogène et à des balles en caoutchouc.

C'était la première fois que les forces de l'ordre utilisaient du gaz et des balles de ce type depuis le début de la fronde antigouvernementale. Des manifestants ont aussi attaqué les bureaux de la chaîne de télévision privée Geo, considérée favorable au gouvernement dans ce conflit.

«Franchement, ça faisait peur!», a soufflé Khadija, une Franco-Pakistanaise de 15 ans, le visage ceint d'un foulard rose venue avec sa mère et sa soeur, de Gonesse, dans la banlieue parisienne, pour participer à la «révolution» dans leur pays d'origine.

«Aucun pays démocratique n'autorise de telles violences... J'en appelle donc à tous les Pakistanais: levez-vous contre votre gouvernement!», a déclaré dimanche Imran Khan au milieu de ses fidèles. «Nous allons continuer jusqu'au dernier souffle», a-t-il promis.

Selon des sources hospitalières, les violences ont fait maintenant trois morts et plus de 480 blessés dont 90 policiers, une centaine de femmes et une dizaine d'enfants.

L'armée en renfort?

Dans un pays à l'histoire jalonnée de coups d'État, plusieurs analystes soupçonnent les opposants Khan et Qadri d'être téléguidés par les militaires afin d'affaiblir M. Sharif, voire de provoquer un chaos qui forcerait une intervention musclée de l'armée.

D'ailleurs, dimanche soir, le chef de l'armée, Raheel Sharif, qui n'a aucun lien de parenté direct avec le premier ministre Nawaz Sharif, avait réuni son état-major afin de discuter de cette crise politique.

Selon ces analystes, l'armée reproche à Nawaz Sharif d'avoir trop attendu avant de déclencher, en juin, une opération militaire contre les fiefs talibans dans le Waziristan du Nord, sa tentative de rapprochement avec l'Inde rivale et le procès pour «haute trahison» intenté au général Pervez Musharraf, une première dans l'histoire du Pakistan.

De leur côté, MM. Khan et Qadri accusent Nawaz Sharif d'avoir bénéficié de fraudes massives lors des législatives de mai 2013 ayant porté sa Ligue musulmane (PML-N) à la tête d'un gouvernement majoritaire.

Certains de leurs fidèles imploraient dimanche l'armée d'intervenir en leur faveur afin de chasser du pouvoir Nawaz Sharif qui bénéficie toutefois d'un fort appui de l'opinion publique, en grande partie sceptique face à la démarche des opposants Qadri et Khan.

Même un cadre du parti d'Imran Khan, Javed Hashmi, a dénoncé ses méthodes affirmant qu'il n'y avait à présent «qu'un pas séparant (les manifestants) de la loi martiale».

«Les violences ne cesseront pas tant que le premier ministre n'aura pas démissionné ou que l'armée ne sera pas intervenue», estime l'analyste Mosharraf Zaidi. À moins bien sûr que la contestation ne s'essouffle, dit-il.