La puissante armée pakistanaise négociait vendredi un accord entre le gouvernement et des opposants qui paralysent la capitale depuis deux semaines, une médiation qui alimente les craintes d'un retour à la suprématie des militaires au pays.

Des milliers de partisans des opposants Imran Khan, ex-joueur de cricket reconverti en homme politique nationaliste, et Tahir ul-Qadri, un chef religieux établi au Canada, campent depuis le 15 août dans la capitale pakistanaise pour exiger la démission du premier ministre Nawaz Sharif.

Les deux hommes accusent M. Sharif d'avoir bénéficié de fraudes massives aux élections nationales de mai 2013 ayant porté sa Ligue musulmane (PML-N) au pouvoir à la tête d'un gouvernement majoritaire.

Mais M. Qadri accuse aussi M. Sharif, son frère Shahbaz, ministre en chef de la province du Pendjab, la plus peuplée du pays, et d'autres proches, d'être responsables de la mort de 14 de ses fidèles dans une opération en juin contre son QG de Model Town, un quartier de Lahore (est).

Dans l'espoir de juguler la contestation, le gouvernement a autorisé jeudi l'enregistrement d'une plainte pour meurtre qui mentionne les noms de 21 personnalités parmi les suspects, incluant Nawaz et Shahbaz Sharif.

Mais les opposants ont jugé cette mesure insuffisante et appelé à la poursuite du sit-in. Puis, dans la nuit de jeudi à vendredi, l'armée a offert une médiation entre le gouvernement et les manifestants afin d'en finir avec cette saga qui monopolise l'attention du pays entier depuis deux semaines.

«Le chef de l'armée nous a demandé officiellement s'il était acceptable pour la "marche de la liberté" (nom du mouvement de contestation, NDLR) qu'il devienne à la fois médiateur et garant du conflit», a lancé à la foule réunie devant le Parlement Tahir ul-Qadri, précisant que l'armée avait demandé une médiation de 24 heures.

«Est-ce que j'ai votre accord?», a-t-il demandé à ses partisans qui ont aussitôt répondu par l'affirmative. «Les pourparlers ont déjà commencé. Je veux vous dire que je ne vous décevrai pas», a renchéri Imran Khan, triomphant.

Plus tard dans la nuit, les deux opposants ont rencontré Raheel Sharif, le chef de l'armée qui n'a aucun lien de parenté direct avec Nawaz Sharif qui avait plaidé plus tôt cette semaine pour une sortie de crise rapide.

Le gouvernement a soutenu vendredi que ce sont les opposants Qadri et Khan qui ont demandé une médiation de l'armée dans le conflit, car ils n'avaient confiance en aucune autre institution pour débloquer l'impasse.

«Nous n'avions donc pas d'autre option que d'impliquer l'armée dans les pourparlers», a déclaré le ministre de l'Intérieur Chaudhry Nisar.

Un premier ministre «affaibli»

Mais dans un pays ayant connu trois coups d'État militaire depuis son indépendance en 1947, cette médiation place à nouveau l'armée au coeur du jeu politique et semble affaiblir l'autorité du premier ministre Sharif.

«Tout cela ne mènera pas nécessairement à la démission de Nawaz Sharif. Mais à partir de maintenant, il semble qu'il ait déjà abandonné beaucoup de son autorité politique», note l'analyste Imtiaz Gul. «Il sortira (de la crise) comme un premier ministre affaibli», ajoute-t-il.

Selon de nombreux commentateurs, l'armée pakistanaise digère mal le rapprochement tenté par Nawaz Sharif avec l'Inde rivale et le procès pour «haute trahison» intentée par le gouvernement contre le général Pervez Musharraf, ancien président et chef de l'armée, et chercherait à affaiblir son gouvernement.

Et si les opposants Imran Khan et Tahir ul-Qadri ont échoué à réunir le million de manifestants promis à Islamabad et à obtenir les faveurs de l'opinion publique à travers le pays, Nawaz Sharif, lui, est de plus en plus critiqué pour sa gestion de la crise.

Le Parlement avait adopté à l'unanimité la semaine dernière une résolution en soutien au gouvernement dans son bras de fer avec les manifestants, mais depuis cette unité s'est lézardée, des politiques dénonçant une crise qui s'éternise au point désormais de forcer une intervention de l'armée.