Des milliers de partisans des opposants pakistanais Imran Khan et Tahir ul-Qadri ont marché mercredi sur le parlement pour exiger le départ du premier ministre Nawaz Sharif, alors que l'armée appelait au «dialogue» pour sortir de cette impasse.

Ex-vedette du cricket au look de playboy rebelle reconverti dans la politique Imran Khan et son allié, le chef religieux Tahir ul-Qadri, avaient promis de mener leurs fidèles au coeur même du pouvoir pour demander la démission de M. Sharif dans ils estiment l'élection, en mai 2013, entachée de fraudes.

Or peu après minuit (15 h, heure de Montréal), leurs partisans, aidés par une grue mobile, ont déplacé des conteneurs qui entravaient l'accès à l'avenue de la Constitution, dans le centre de la capitale, selon un photographe de l'AFP sur place.

Les manifestants ont aussitôt défilé par milliers devant le parlement, au coeur de la «zone rouge», zone hyper-sécurisée où sont aussi situées la Cour suprême, la résidence du premier ministre Sharif et les ambassades, dont celle de France et des États-Unis.

«Nous resterons pacifiques, nous n'allons pas entrer dans l'enclave diplomatique, ni dans le parlement», a commencé par déclarer Imran Khan sous les vivats de ses partisans dont certains sont munis de bâtons.

Mais «si le premier ministre ne démissionne pas dans les 24 prochaines heures, nous allons marcher jusque dans sa résidence officielle», située à deux pas du parlement, a-t-il plus tard prévenu.

La «zone rouge» est normalement quadrillée par la police, mais le gouvernement a annoncé mardi le transfert de son contrôle aux militaires. Quelque 700 soldats étaient ainsi déployés sur les édifices clés de l'avenue de la Constitution.

«Nous allons éviter de recourir à la violence, les vies humaines sont beaucoup plus précieuses. Il y a des enfants innocents et des femmes parmi les manifestants», a déclaré le ministre de l'Information Pervez Rashid.

L'armée favorable au dialogue

Depuis son indépendance en 1947, le Pakistan a connu trois coups d'État, et l'équilibre entre le pouvoir civil et la puissante armée y demeure encore fragile, et est source de conjectures constantes.

Selon certains observateurs, Imran Khan et Tahir ul-Qadri jouent le jeu de l'armée, ou du moins d'une partie des services de renseignement, afin d'accroître la pression sur le pouvoir civil avec lequel elle a de nombreux différends incluant le sort réservé à Pervez Musharraf inculpé pour «haute trahison», une première dans l'histoire du pays pour un ex-général.

Or l'armée n'a pas soutenu mercredi les manifestants, mais plutôt appelé au dialogue afin de mettre rapidement un terme à la crise politique.

«La situation nécessite de la patience, de la sagesse, et de la sagacité de la part de toutes les parties pour mettre un terme à l'impasse actuelle via un dialogue profond qui est dans l'intérêt de la nation», a ainsi déclaré son porte-parole.

Le chef de la diplomatie britannique, ancienne puissance coloniale, Philip Hammond, a appelé le gouvernement et les deux opposants à régler leur différend «de manière pacifique» et «dans le cadre de la Constitution».

Le gouvernement maintenait mercredi son offre de dialogue avec les deux opposants dont la détermination pose encore de nombreuses questions.

Khan et Qadri tentent-ils de faire monter les enchères en vue de négociations ou bien sont-ils prisonniers d'un «jusqu'au-boutisme» qui risque de provoquer des affrontements au coeur même de la capitale? Voire, sont-ils téléguidés par l'armée?

Chef du Parti de la justice (PTI), formation arrivée en troisième position aux législatives de mai 2013, Imran Khan multiplie depuis une semaine les coups d'éclat dans une sorte de crescendo pour déloger son grand rival Nawaz Sharif.

Après avoir réuni avec son acolyte Tahir ul-Qadri des milliers de partisans dans la capitale, Imran Khan a appelé à la désobéissance civile, puis annoncé la démission de ses députés au Parlement, avant de marcher sur le parlement.

Mais son appel à la désobéissance civile semble l'avoir isolé, la classe politique, y compris les autres formations d'opposition, ayant dénoncé cette stratégie aussi fustigée par la communauté d'affaires.

Et plusieurs considéraient comme du «jusqu'au-boutisme», voire un «acte de désespoir», sa marche dans la «zone rouge» d'Islamabad.

Mais pour les partisans de l'ex-gloire du cricket, sport national qui a presque lieu de religion au Pakistan, le temps n'est plus au compromis ou au dialogue.

«Assez, c'est assez! Si le gouvernement nous avait écoutés, nous ne serions pas rendus là. Imran est désormais notre seul espoir», lance Imran Niazi, 37 ans, manifestant pro-Khan.

Les deux opposants accusent M. Sharif d'avoir bénéficié de fraudes massives lors des législatives de mai 2013 l'ayant porté à la tête d'un gouvernement majoritaire, même si le scrutin a été validé par des observateurs internationaux.

Sortie de crise?

Le gouvernement maintenait malgré tout mardi soir son offre de dialogue avec les deux opposants dont la volonté de poursuivre la contestation posait de nombreuses questions.

Khan et Qadri tentent-ils de faire monter les enchères en vue de négociations ou bien sont-ils prisonniers d'un «jusqu'au-boutisme» qui risque de provoquer des affrontements au coeur même de la capitale?

Voire, sont-ils téléguidés par l'armée, ou une partie des services de renseignement, pour faire pression sur le premier ministre Sharif dans un pays à l'histoire jalonnée de coups d'État où l'équilibre entre civils et militaires demeure fragile?

Chose certaine, leur mayonnaise révolutionnaire n'a pas pris comme ils le souhaitaient.

Les deux hommes avaient promis un million de manifestants pour leur sit-in, mais mardi ils n'étaient que quelques milliers, quoique très remontés, encore réunis dans le coeur de la capitale.

Et l'appel à la désobéissance civile semble avoir isolé M. Khan, la classe politique, y compris les autres formations d'opposition, ayant dénoncé cette stratégie aussi fustigée par la communauté d'affaires.

La marche sur la «zone rouge» n'est qu'un «acte de désespoir, cela ne va pas accroître la pression sur le gouvernement qui a déjà survécu au sit-in», pense l'analyste Rahimullah Yusufzai.

Mais en pénétrant dans cette zone sécurisée avec ses milliers de partisans, Khan risque de provoquer la police qui devra réagir avec doigté pour éviter de donner des «martyrs» à sa cause, souligne une source diplomatique occidentale.Après tout, Imran Khan souhaite peut-être sa propre arrestation «devant les caméras» et des heurts diffusés en direct à la télévision pour terminer ce sit-in «sur ce qu'il considère une note positive», s'interroge le quotidien Dawn.

«Nous attendons le signal d'Imran», assure Habibullah Nawaz, un ingénieur en informatique de 30 ans qui campe avec des milliers d'autres manifestants pro-Khan dans le centre d'Islamabad.

«S'il nous demande de marcher sur le Parlement, nous le ferons, même s'il y a un risque de violences, ou de morts. Nous n'avons pas peur».