Filmer l'«héroïsme» des secouristes plutôt que les dizaines de corps au sol: sur les lieux d'un séisme meurtrier au Yunnan, les médias chinois s'en sont tenus aux consignes de la propagande officielle... non sans s'attirer des sarcasmes d'internautes.

Au lendemain du tremblement de terre qui a frappé le 3 août une région montagneuse du sud-ouest de la Chine, quelque 150 corps, hâtivement emmaillotés dans des couvertures poussiéreuses, étaient alignés dans une rue de Longtoushan, localité située à l'épicentre.

Mais cette image poignante, les téléspectateurs chinois ne l'auront pas vue: rencontré sur place par l'AFP, un cameraman de la télévision d'État CCTV s'en est ostensiblement détourné.

«Les gens veulent voir des comportements héroïques», s'est-il justifié. Et la scène contrastait avec la ligne imposée par les consignes officielles.

Alors que le bilan s'alourdissait jour après jour, dépassant finalement les 600 morts, les médias chinois célébraient l'efficacité des secours et la mobilisation des dirigeants.

Le président Xi Jinping a ordonné «les plus grands efforts» pour aider les victimes, tandis que le premier ministre Li Keqiang s'est rendu sur place pour «superviser les secours», a annoncé l'agence Chine nouvelle.

Précision du média d'État: en raison du mauvais état des routes, Li a parcouru à pied sur des chemins embourbés les cinq derniers kilomètres vers Longtoushan.

Li Keqiang au côté d'un brancard

Peu de détails ou d'images s'écartaient du canevas mis en scène à la une des journaux.

Au lendemain du séisme, le Quotidien du Peuple - organe du Parti communiste chinois et plus gros tirage du pays - publiait en première page une photo d'un paramilitaire portant un vieil homme.

Les deux jours suivants, c'est Li Keqiang qui a eu les honneurs de la une du quotidien, montré successivement au côté d'un brancard puis tendant la main à un enfant.

De quoi rappeler la figure de son prédécesseur Wen Jiabao, surnommé «grand-papa Wen» pour sa promptitude à apparaître après chaque désastre au chevet des populations meurtries.

Les reportages télévisés diffusaient en boucle les images de secouristes portant des rescapés, de personnels médicaux en action, ou encore de miraculés tirés des décombres.

«La presse a adhéré massivement aux thèmes officiels», dont «la rapidité et le professionnalisme» des secours et le soutien d'une «nation unie», a commenté Nicholas Dynon, expert des médias chinois à la Macquarie University de Sydney.

La couverture du séisme «était bien davantage collée à la ligne» gouvernementale que ce qu'on pouvait voir sous l'équipe de dirigeants précédente, a estimé M. Dynon, évoquant un durcissement du contrôle des médias.

Nouilles à l'eau boueuse

Après le séisme historique de 2008 au Sichuan voisin, qui avait fait 80 000 morts, les journalistes chinois avaient parlé des multiples écoles effondrées et critiqué leurs piètres matériaux de construction - suscitant la colère du public contre les officiels locaux.

À Longtoushan, les dortoirs d'un collège se sont écroulés - sans élèves dessous pour cause de vacances scolaires - mais les médias cette fois en ont peu parlé... préférant se concentrer sur les bâtiments qui ont résisté.

Cependant, pour un public chinois rompu aux réseaux sociaux, certaines vieilles ficelles de la propagande ne fonctionnent plus.

Le très nationaliste Global Times, désireux d'encenser l'endurance et «les sacrifices» des soldats mobilisés, a raconté que ces derniers, faute d'eau potable, avaient dû préparer des nouilles instantanées... avec de l'eau boueuse puisée dans une ravine.

Une photo montrait cette eau brunâtre chauffée dans une grande poêle couleur rouille - un épisode édifiant digne des épreuves de la Longue marche dans l'imaginaire du Parti communiste.

Mais loin d'être émus, beaucoup d'internautes se sont indignés du manque d'équipements des forces chinoises et des dangers d'intoxication pour les soldats concernés.

«On est au XXIe siècle et ils n'ont pas d'équipements de purification d'eau, où vont les millions consacrés à l'armée?», s'insurgeait un microblogue sur Weibo. Un autre demandait: «Peut-on leur faire confiance pour défendre le pays?».

D'autres internautes criaient, eux, à la mise en scène.

Face au déluge de commentaires indignés ou sceptiques, le Global Times a reconnu «des erreurs»... poussant un autre média d'Etat, la radio publique, à répliquer aussitôt qu'au contraire l'histoire était complètement véridique.

Sur Weibo, un internaute a commenté: «La propagande a décidément du mal à s'adapter à l'époque moderne».