Le Pakistan était plongé lundi dans un nouvel imbroglio politique avec le retour au pays mouvementé du chef religieux populiste Tahir-ul-Qadri, dont les autorités ont détourné le vol vers Lahore après des heurts entre ses partisans et la police à l'aéroport d'Islamabad.

La situation restait confuse dans l'après-midi. Arrivé à Lahore (est), M. Qadri refusait de descendre de l'appareil et réclamait la protection de l'armée, accusant le gouvernement d'avoir tué neuf de ses fidèles mardi dernier lors d'affrontements avec la police.

Les autorités ont justifié le détournement de son avion par des raisons de sécurité, la police affirmant que 70 de ses hommes avaient été blessés le matin à l'aéroport d'Islamabad en repoussant, à coups de gaz lacrymogène, les manifestants pro-Qadri.

Ce retour met la pression sur Islamabad au moment où l'armée mène une offensive militaire contre les talibans et Al-Qaïda dans la zone tribale du Waziristan du nord, qui a déjà jeté sur les routes plus de 300 000 habitants.

M. Qadri, 63 ans et qui vit au Canada dont il a également la nationalité, est un habitué des retours turbulents qui mettent en émoi un pays perpétuellement sous tension politique et sécuritaire.

Début 2013, il s'était fait connaître des observateurs internationaux en organisant à Islamabad un sit-in géant qui avait paralysé la capitale pendant plusieurs jours.

Il y avait dénoncé avec force la corruption des partis de gouvernement et appelé à des réformes urgentes, nourrissant les soupçons qui le disent téléguidé par l'armée pour mettre le pouvoir politique sous pression, avant de plier bagage avec ses partisans sans avoir obtenu satisfaction.

Après un an et demi de relative discrétion, il avait récemment annoncé son retour imminent au Pakistan pour lancer une mystérieuse «révolution pacifique» visant à débarrasser le pays de la corruption, de la pauvreté et des violences.

Avant même son arrivée, la tension était très forte après les affrontements meurtriers qui ont opposé mardi dernier à Lahore ses partisans à la police au siège de son parti, le Mouvement du peuple du Pakistan (Pakistan Awami Tehreek, PAT). Neuf fidèles de M. Qadri avaient été tués, selon son parti et un hôpital local.

En prévision de son atterrissage lundi matin et de l'afflux de fidèles, le gouvernement avait placé l'aéroport d'Islamabad et ses alentours en alerte, déployant des soldats aux points d'entrée et de sortie et bloquant les routes adjacentes avec des conteneurs.

Mais les partisans de Qadri, arrivés aux cris de «Vive Tahir-ul-Qadri» et «Révolution islamique» et armés de bâtons et de pierres, ont réussi à passer ces barrages. La police a répliqué en tirant des grenades lacrymogènes. Selon cette dernière, 70 policiers ont été blessés dans les heurts.

Les autorités pakistanaises ont alors demandé à la compagnie Emirates, qui assurait les vols Londres-Dubai-Islamabad transportant M. Qadri, de le détourner vers Lahore «pour la sécurité de l'appareil».

Arrivé à Lahore, M. Qadri a refusé de descendre de l'avion. «Le gouvernement a engagé des terroristes, des assassins déguisés en policiers qui nous attendent dehors», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision locale Express TV. «Je veux que l'armée pakistanaise me protège. Dans ce cas, je suis prêt à aller n'importe où».

Le statu quo se poursuivait dans l'après-midi.

Tahir-ul-Qadri est le fondateur du Minhaj-ul-Qur'an International (MQI), une organisation religieuse qui a des branches à travers tout le Pakistan et dans plus de 90 pays où elle promeut la paix et l'harmonie entre communautés.

Il jouit d'une large audience au Pakistan et dans le monde grâce à ses interventions régulières dans des conférences, dont le forum économique mondial de Davos.

Orateur de talent, il est considéré comme un modéré, auteur notamment d'un édit (fatwa) jugeant non-islamiques les attentats-suicide, arme de prédilection des rebelles islamistes talibans.

Pour ses partisans, Tahir ul-Qadri porte la voix des masses démunies et exploitées par l'élite politique richissime et corrompue au pouvoir. Ses détracteurs, du côté du pouvoir notamment, l'accusent de vouloir semer le «chaos» pour préparer le terrain à un retour aux affaires de l'armée, l'institution la plus puissante du pays. D'autres voient en lui un agent de l'Occident inquiet de la montée des extrémistes dans un État instable doté de l'arme nucléaire.