Est-ce la fin du principal repaire tribal d'Al-Qaïda au Pakistan, ou juste un répit? Face aux bombardements et rumeurs d'offensive terrestre imminente de l'armée, nombre de djihadistes étrangers ont fui discrètement leur refuge du Waziristan du Nord ces dernières semaines.

L'exode depuis cette zone tribale pakistanaise, l'une des sept accolées à l'Afghanistan, montagneuse et réputée incontrôlable a débuté fin mai avec l'intensification des raids aériens de l'aviation pakistanaise, ont indiqué à l'AFP des habitants.

Le mouvement s'est accéléré ces derniers jours après le sanglant assaut (38 morts, dont les dix assaillants) de dimanche dernier contre l'aéroport de Karachi revendiqué par le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) et des djihadistes ouzbeks, tous proches d'Al-Qaïda.

Cette attaque a éloigné encore un peu plus la perspective de voir le gouvernement discuter de paix avec le TTP, principal groupe rebelle islamiste du pays, comme il le lui avait proposé en début d'année.

Mardi, au lendemain de l'assaut de Karachi, Islamabad a bombardé la zone tribale de Khyber. Et mercredi soir, les États-Unis, alliés d'Islamabad, ont repris leurs tirs de drones sur les zones tribales, qu'ils avaient suspendus depuis six mois pour donner une chance à la proposition de dialogue de paix du gouvernement.

Et ils ont cette fois visé le Waziristan du Nord, considéré comme le principal bastion du TTP et de ses alliés djihadistes étrangers proches d'Al-Qaïda, dont des Ouzbeks. Cet enchaînement a renforcé les rumeurs d'une prochaine offensive terrestre de l'armée dans la zone pour mettre le TTP hors d'état de nuire.

Tchétchènes, Ouzbeks, Ouïghours...

Avant même l'attaque de Karachi, la majorité des combattants islamistes étrangers et locaux avaient quitté le district de Miranshah, la principale ville du Waziristan du Nord, ont indiqué à l'AFP des habitants. Ces derniers ont ainsi vu des combattants islamistes, dont des Tchétchènes, Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks et Ouïghours, quitter leurs repaires dans plusieurs villages.

Le nombre de djihadistes étrangers au Waziristan avait déjà baissé ces dernières années, en raison notamment de la concurrence d'autres fronts djihadistes (Mali, Syrie, Irak). On y voyait ainsi moins d'Européens ou d'Arabes, mais toujours autant de «régionaux» (Ouzbeks, Turkmènes, Ouïghours...).

Ils s'y étaient établis à partir du début des années 2000 pour aller livrer avec Al-Qaïda et les talibans la «guerre sainte» aux forces occidentales «infidèles» de l'autre côté de la frontière afghane.

Aujourd'hui, la plupart d'entre eux «sont allés se réfugier au coeur des montagnes de la frontière afghane», selon un responsable des services de sécurité.

Même exode de combattants constaté depuis des villages connus pour être les repaires du réseau taliban afghan Maharani, proche d'Al-Qaïda et connu pour ses attaques sanglantes contre les Occidentaux en Afghanistan. «Ils disparaissent eux aussi, probablement pour aller juste de l'autre côté de la frontière afghane, note un habitant de Miranshah.

Selon un autre habitant de la ville, «plus de 80 % des combattants djihadistes locaux et étrangers ont quitté le Waziristan du Nord».

Une stratégie délibérée?

La rumeur d'une offensive militaire terrestre au Waziristan du Nord y court depuis plusieurs années. Islamabad s'y est jusqu'ici refusé, par crainte notamment d'une vague d'attentats sanglants en retour.

Mais l'exode massif de ces dernières semaines - environ 60 000 personnes, depuis fin mai selon des estimations officielles - suggère que la menace est cette fois prise très au sérieux sur place.

Il a commencé après que des F-16 de l'armée pakistanaise ont bombardé la zone le 22 mai, tuant au moins 75 personnes selon les autorités.

Des responsables gouvernementaux ont dans le même temps posé un ultimatum aux tribus locales : livrer les combattants étrangers ou être encore plus bombardés.

La semaine dernière, des chefs tribaux ont dans plusieurs villages fait diffuser via les haut-parleurs des mosquées des messages appelant les combattants étrangers à quitter la zone. Et planté des drapeaux pakistanais pour prouver leur loyauté au gouvernement et éviter ses bombardements.

Le départ des djihadistes «est une bonne chose», estime un responsable des services de sécurité locaux. «Nous espérons que les tribus locales ne leur permettront plus de revenir», a-t-il ajouté en se félicitant qu'en cas d'offensive militaire, l'armée «rencontrera moins de résistance».

Pour Azimut Nul, spécialiste pakistanais des questions de sécurité, Islamabad a nourri les rumeurs d'offensive imminente pour pousser les rebelles à se réfugier de l'autre côté de la frontière et passer la patate chaude aux autorités afghanes.

Mais cela ne résout pas le principal problème selon lui : la difficulté de traquer les djihadistes le long d'une frontière si poreuse. «Ils ne cessent d'aller et venir, qu'ils soient Pakistanais ou étrangers».