Les États-Unis ont appelé samedi à des élections rapides en Thaïlande où le chef de la junte qui vient de prendre le pouvoir a annoncé la veille qu'aucune élection ne serait organisée avant au moins un an, avec d'ici là aux commandes un «conseil des réformes».

L'annonce de Bangkok a provoqué la colère de Washington et le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel, en tournée dans la région, a rapidement réagi en demandant instamment à la junte thaïlandaise de relâcher ses prisonniers et en lançant un appel à des élections rapides.

«Nous demandons instamment aux forces armées royales thaïlandaises de libérer les personnes détenues, de mettre fin aux restrictions de la libre expression et de restaurer immédiatement le pouvoir du peuple thaïlandais grâce à des élections libres et justes», a déclaré Chuck Hagel lors d'un forum sur la sécurité en Asie-Pacifique à Singapour.

Un peu plus d'une semaine après un coup d'État très critiqué par la communauté internationale, le général Prayut Chan-O-Cha s'est adressé à la Nation à la télévision tard vendredi afin de préciser son «agenda d'un an et trois mois pour s'acheminer vers des élections».

La «feuille de route» prévoit une «première étape» de «réconciliation» nationale pendant deux ou trois mois, dans ce pays profondément divisé entre partisans et détracteurs de Thaksin Shinawatra, milliardaire devenu premier ministre, puis renversé par un coup d'État en 2006.

Ses proches ont continué à dominer la scène politique depuis, au grand dam des élites traditionnelles, dont l'armée, proches du palais royal, selon les analystes.

Selon le général Prayut, la «deuxième étape» devrait permettre la mise en place «de réformes», avec aux commandes un «conseil des réformes» (gouvernement non élu).

«La troisième étape correspond à des élections générales avec un système démocratique absolu qui soit acceptable par toutes les parties», assure-t-il.

Ce plan de la junte militaire ressemble fort au programme des manifestants d'opposition qui ont réussi, après sept mois de mobilisation, à faire intervenir l'armée dans le conflit politique afin de renverser le gouvernement.

Les manifestants réclamaient la mise en place d'un «Conseil du peuple», non élu, le temps d'adopter des réformes avant toute nouvelle élection, dans un délai de plus d'un an, faisant douter de leur attachement à la démocratie.

En 2006, il s'était passé un peu plus d'an entre le putsch du 19 septembre et les législatives du 23 décembre 2007, remportées par les pro-Thaksin, vainqueurs de toutes les élections depuis 2001.

«Les Thaïlandais ne sont probablement pas heureux depuis neuf ans, comme moi», a expliqué le général Prayut, dans une allusion aux crises cycliques depuis le putsch contre Thaksin, qui reste malgré son exil le facteur de division du pays.

«Depuis le 22 mai (date du nouveau coup d'État), il y a du bonheur», a assuré le général, qui a fortement restreint les libertés publiques, avec censure, couvre-feu et interdiction de manifester.

«Les lois seront modifiées afin que nous puissions avoir des personnes honnêtes pour diriger le pays», a-t-il encore dit, alors que les analystes redoutent que la nouvelle Constitution ne soit encore plus draconienne que celle rédigée par la précédente junte en 2007.

Les opposants, qui ont manifesté pendant sept mois à Bangkok pour faire tomber la première ministre Yingluck Shinawatra, soeur de Thaksin, étaient le fer de lance des élites royalistes, selon les analystes, ces dernières souhaitant se débarrasser du «système Thaksin» alors que le roi Bhumibol, au rôle symbolique fort, est âgé de 86 ans.

«Rien en retour»

Assurant «ne rien attendre en retour», le général Prayut a appelé la communauté internationale à comprendre que la Thaïlande avait «besoin de temps pour changer les attitudes, les valeurs» et «améliorer la démocratie».

Jeudi, l'Union européenne, important partenaire commercial de la Thaïlande, avait estimé que seul un plan précis sur le retour à la démocratie pourrait permettre «la poursuite de son soutien».

De leur côté, les États-Unis avaient renouvelé leur appel en faveur d'un rapide retour à la démocratie, la porte-parole du Département d'Etat Jen Paski déclarant que Washington «aurait recours à tout levier politique, tout levier économique là où cela serait possible pour faire pression».

Yingluck a été libérée par la junte cette semaine, après plusieurs jours dans un lieu de détention tenu secret, tout comme les leaders des Chemises rouges pro-Thaksin. Tous ont dû s'engager à mettre un terme à leurs activités politiques, sous peine de poursuites devant la cour martiale.

De petites manifestations sont organisées quotidiennement, dans un climat global d'indifférence, dans un pays qui a connu 19 coups d'État ou tentatives de coup depuis l'établissement de la monarchie constitutionnelle en 1932.

Dimanche dernier, près d'un millier de manifestants avaient bravé l'interdit pour manifester à Bangkok, une opération que certains souhaitent renouveler dimanche.