Le parti du nationaliste hindou Narendra Modi a remporté une victoire éclatante hier en Inde. Depuis Indira Gandhi, assassinée en 1984, l'Inde n'avait pas connu un leader soulevant autant les passions. «Boucher du Gujarat» pour les uns, générateur de «miracles économiques» pour les autres. Portrait - en trois questions - d'un homme qui pourrait relever l'Inde... ou la plonger dans l'obscurantisme.

Q : Qui est Narendra Modi?

R : Ministre en chef de l'État du Gujarat depuis 2001, Narendra Modi, 63 ans, est issu d'une famille pauvre. Vendeur de thé durant son enfance, il devient dès l'âge de 8 ans membre de la Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation volontaire nationale, RSS), un groupe fondamentaliste hindou. Après un mariage de convenance à l'adolescence, il délaisse sa femme pour se consacrer à temps plein à la propagation des idées du RSS, une tâche qui exige le célibat.

L'organisation le délègue ensuite au Parti du peuple indien (BJP), la branche politique de la famille hindouiste. Il gravit les échelons jusqu'à être nommé à la tête du gouvernement de son État natal. Crédité pour le «miracle économique» du Gujarat, il est réélu pour un troisième mandat en décembre 2012. Graduellement, sa popularité dépasse les frontières du Gujarat.

En juin 2013, le BJP le déclare candidat au poste de premier ministre pour les prochaines élections, malgré l'opposition de certains patriarches du parti qui craignent son autoritarisme. Devant la faiblesse de son adversaire du Congrès, Rahul Gandhi, la campagne électorale se transforme en plébiscite sur le programme et la personnalité de Narendra Modi. Sa victoire retentissante d'hier lui donne les coudées franches pour diriger le pays.

Q : Pourquoi est-il controversé?

R : En 2002, des émeutes antimusulmanes éclatent au Gujarat, faisant au moins un millier de morts, principalement parmi la minorité musulmane. Les autorités sont accusées d'inaction, voire de complicité avec les émeutiers hindous. Le ministre en chef refuse depuis d'être tenu responsable ou de s'excuser. En 2012, Modi est blanchi par la justice, mais plusieurs de ses proches collaborateurs sont envoyés en prison.

Les émeutes de 2002 sont avant tout une preuve du déni de justice dont fait preuve Modi à l'égard des minorités, estime Zahir Janmohamed, journaliste américain, témoin des violences. «Pourra-t-il maintenir la primauté du droit lors d'autres situations tendues [dans le pays]?», s'interroge M. Janmohamed. «Sa vision de l'Inde est que les chrétiens, les musulmans et les autres peuvent vivre ici pourvu qu'ils acceptent la supériorité des hindous», résume le journaliste, fils d'immigrés gujaratis.

C'est pourquoi les Indiens laïques ou issus des minorités religieuses craignent une hindouisation des institutions publiques sous sa gouverne. M. Janmohamed rappelle aussi que Narendra Modi est soupçonné d'avoir ordonné plusieurs assassinats extrajudiciaires de criminels présumés au Gujarat.

Q : Quel est son programme pour l'Inde?

R : «Les toilettes en premier, les temples plus tard», a lui-même résumé Modi en octobre dernier. En d'autres mots, le développement (la moitié des Indiens n'ont pas accès à des installations sanitaires adéquates) doit passer avant l'hindouisation de la société.

«C'est un administrateur très efficace, très orienté sur l'entrepreneuriat et les investissements. Il a su éradiquer la corruption [au Gujarat] et diminuer la bureaucratie», souligne Vivek Dehejia, professeur d'économie à l'Université Carleton d'Ottawa. Modi a d'ailleurs obtenu l'appui de plusieurs grands industriels du pays. Ses détracteurs croient toutefois que si jamais le nouveau premier ministre n'arrive pas à relancer l'économie, il pourrait se tourner vers son «plan B», l'hindouisation.

283

Avec 283 sièges sur 543, le Parti du peuple indien (BJP) est la première formation depuis 1984 à obtenir à elle seule une majorité à la Lok Sabha (Chambre basse). Le premier ministre Narendra Modi n'aura donc que peu de concessions à faire à ses alliés de l'Alliance démocratique nationale (337 sièges au total).