Les manifestants thaïlandais ont annoncé jeudi former leur propre gouvernement, au risque de faire descendre dans la rue les partisans de l'ex-première ministre, Yingluck Shinawatra, limogée la veille.

Cette annonce est une première, même si ce scénario relève pour l'heure de la fiction, le gouvernement intérimaire pro-Yingluck agissant dans un cadre légal.

Bonne nouvelle jeudi pour ce gouvernement intérimaire: il a échappé à une procédure qui aurait pu le chasser du pouvoir.

La Commission anticorruption, accusée de faire partie d'une «coalition des élites» royalistes traditionnelles contre le gouvernement, s'est en effet focalisée sur Yingluck.

Elle l'a reconnue coupable de négligence dans le cadre d'un programme controversé de subvention aux riziculteurs, qui était largement prédit comme la nouvelle étape d'un «coup d'État judiciaire» contre l'exécutif.

Yingluck pourrait certes se retrouver interdite de vie politique pendant cinq ans - et par conséquent empêchée d'être tête de liste aux législatives du 20 juillet.

Mais ce qui reste de son équipe, soit une vingtaine de ministres ayant échappé au limogeage, reste en place.

Le conflit retourne donc désormais dans la rue, avec des manifestations «décisives» annoncées vendredi et samedi par les deux parties en lutte, jouant la surenchère.

Akanat Promphan, porte-parole des manifestants, assure que le gouvernement intérimaire «n'a aucune légitimité». Et précise que les membres du «gouvernement» dissident seront annoncés lors de la manifestation «finale» de vendredi.

De l'autre bord, Jatuporn Prompan, le chef de file des Chemises rouges, a appelé ses troupes à «se mobiliser à 100%» pour une grande manifestation samedi à Bangkok.

Dénonçant la «conspiration» des élites contre le gouvernement, il a dit craindre un coup d'État «finalement inévitable».

«Si, comme on s'y attend, aucun compromis politique n'est trouvé, et que l'opposition continue de chercher à faire tomber ce qui reste du gouvernement intérimaire par des moyens judiciaires, il y aura un risque accru que des paramilitaires des Chemises rouges mènent des actions sporadiques», dit craindre l'analyste Alecia Quah.

Comme s'y attendaient les experts, les manifestants ne se sont pas satisfaits du seul départ de Yingluck Shinawatra, qui incarnait la perpétuation au pouvoir du «clan Shinawatra», dont les partis remportent toutes les élections depuis 2001.

Car le premier ministre par intérim est aussi un proche de l'ex-premier ministre Thaksin Shinawatra, frère de Yingluck.

«La première ministre part, l'impasse reste», a titré en Une jeudi le Bangkok Post.

Basculement proche ?

Mais les espoirs des manifestants sont en partie douchés par cette décision de la Commission anticorruption, qui ne touche pas au gouvernement intérimaire.

Les institutions thaïlandaises, réputées proches de l'opposition, jouent donc le chaud et le froid, en prenant ces décisions «en demi-teinte», contre la seule Yingluck, dans le cadre d'une «guerre d'usure» contre le parti au pouvoir, selon les expressions du politologue américain Paul Chambers.

La Cour constitutionnelle a déjà chassé deux premiers ministres pro-Thaksin en 2008, ouvrant alors la voie du pouvoir à l'opposition.

Celle-ci, incarnée par le Parti démocrate, proche des manifestants, est accusée par le parti Puea Thai au pouvoir de n'arriver à se hisser aux manettes que par le biais de «coups d'État judiciaires».

La défiance des manifestants vis-à-vis du système électoral et leur volonté de repousser sine die les élections suscitent des craintes quant à leurs aspirations démocratiques.

Les États-Unis ont insisté mercredi sur la nécessité de nouvelles législatives, alors que la Thaïlande fonctionne sans Parlement depuis des mois, les manifestants ayant empêché le déroulement normal des législatives de février.

Les manifestants sont soutenus par les élites proches du Palais royal, qui considèrent le «clan Shinawatra», vainqueur de toutes les législatives depuis 2001, comme une menace pesant sur la monarchie. Le roi de Thaïlande est âgé de 86 ans.

Depuis le putsch de 2006 contre Thaksin, la Thaïlande est engluée dans un cycle de crises au cours desquelles descendent dans la rue ennemis et partisans du milliardaire.

La crise en cours a déjà fait au moins 25 morts, le plus souvent lors de tirs isolés dans la capitale.