À l'heure où Pékin investit massivement dans son armée et montre ses muscles à ses voisins asiatiques, plusieurs pays européens ont approuvé de fructueuses ventes d'armement et de technologie à usage militaire, malgré l'embargo à destination de la Chine, selon une enquête de l'AFP.

L'armée de l'air chinoise utilise des hélicoptères de conception française. Frégates et sous-marins qui croisent dans les eaux revendiquées en mer de Chine sont propulsés par des moteurs allemands et français, vendus dans le cadre de contrats de «technologies à double usage», civil ou militaire.

En visite en France fin mars, le président chinois Xi Jinping, à la tête de l'armée, a annoncé une augmentation de la production en Chine d'hélicoptères Airbus EC175, ce qui, selon des experts, pourrait se traduire par des transferts de technologies.

«Les exportations européennes sont très importantes pour l'armée chinoise», estime Andrei Chang, rédacteur en chef de la revue hongkongaise Kanwa Asian Defense, selon qui «sans la technologie européenne, la marine chinoise ne pourrait pas bouger».

L'Union européenne (UE) a imposé un embargo sur les ventes d'armes à la Chine après la répression du mouvement étudiant de Tian'anmen en 1989 qui avait fait des centaines de morts. Vingt-cinq ans après, la levée de cet embargo est toujours en discussion et son interprétation par les États membres reste assez libre, selon les analystes.

«La décision finale d'autoriser ou d'interdire les exportations (d'armes) est de la responsabilité des États membres», a commenté un porte-parole de l'UE dans un communiqué.

«Navires de guerre»

Selon le 15e rapport annuel sur le commerce de l'UE, de 2002 à 2012, les fabricants d'armes européens ont reçu des licences d'exportation pour 3 milliards d'euros (4,5 milliards de dollars).

En 2012 - derniers chiffres disponibles -, les États de l'UE ont approuvé pour 173 millions d'euros (262 milliards de dollars) d'exportations, incluant entre autres des «armes à canon lisse» britanniques et des «navires de guerre» néerlandais.

Plus de 80 % de ce montant, soit 104 millions d'euros (157 millions de dollars), est d'origine française, selon un rapport parlementaire. La production d'hélicoptères d'Airbus en Chine pour l'armée représente l'essentiel de la somme, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) qui surveille les ventes d'armements.

En 2013, la Chine a importé la plupart de ses armes de Russie. La France, l'Allemagne et le Royaume-Uni lui ont vendu 18 % du total.

À la tête du deuxième budget militaire mondial, Pékin a annoncé le mois dernier une augmentation de 12 % de ses dépenses militaires.

La Chine assure que ses intentions sont pacifiques. Mais ses relations avec ses voisins ont empiré dernièrement, en particulier avec le Japon, faisant craindre une escalade militaire au moindre accrochage autour d'îles disputées en mer de Chine méridionale.

Tokyo avait ainsi accusé l'an dernier une frégate chinoise d'avoir verrouillé son radar de tir - dernier stade avant l'ouverture du feu - sur un contre-torpilleur et un hélicoptère nippons près de l'archipel disputé. Des accusations démenties par Pékin.

La frégate chinoise était vraisemblablement motorisée par l'entreprise allemande MUT, selon des experts.

Un autre navire mis en cause, de la classe Jiangkai-1, est équipé de moteurs de SEMT Pielstick, une entreprise française détenue par l'allemand MAN Diesel, selon des experts et des informations publiées par des sites web militaires chinois.

MAN a confirmé à l'AFP avoir fourni 250 moteurs à la marine chinoise, précisant qu'elle «agit en suivant les lois d'exportations allemandes à la lettre».

Les moteurs - mais aussi des logiciels de conception d'avions de combat - sont exportés en tant que «technologies à double usage» - civil et militaire - échappant ainsi à l'embargo.

Bernadette Andereosso, directrice des Études européennes à l'Université irlandaise de Limerick, décrit la politique européenne de «double usage» comme «très libre et très tolérante».

Tensions avec les États-Unis

«La Chine parle d'achats civils pour acheter des moteurs d'hélicoptères français, puis ils transfèrent les moteurs vers des appareils militaires», indique de son côté Andrei Chang à propos du contrat de coproduction signé en France.

Les hélicoptères militaires chinois les plus récents ne seraient ainsi «que des versions modernisées» des appareils d'Airbus, selon Roger Cliff, expert militaire du Conseil de l'Atlantique.

Airbus a renvoyé les questions de l'AFP à sa division hélicoptère sans y répondre.

Ces exportations d'armes ont suscité des frictions en coulisse entre l'UE et les États-Unis, d'après des experts, Washington n'ayant exporté aucune arme vers la Chine ces dernières années, selon le SIPRI.

Pour Emil Kirchner, de l'Université britannique de l'Essex, «le manque de stratégie d'ensemble de l'UE pourrait finalement avoir des conséquences préjudiciables pour les intérêts de l'UE.»

Andrew Smith, de l'ONG anglaise Campagne contre les ventes d'armes, déplore pour sa part que les valeurs européennes soient «trop souvent piétinées au nom des profits à court terme des entreprises d'armement».

Le ministère chinois de la Défense a décliné tout commentaire.