La Chine lutte contre la corruption et réforme son économie avec beaucoup plus de vigueur que prévu, selon l'ambassadeur canadien à Pékin, Guy Saint-Jacques. Lors d'une allocution au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), vendredi, M. Saint-Jacques a dévoilé de nouveaux détails de conversations ayant eu lieu l'automne dernier entre le gouverneur général du Canada, David Johnston, et le président chinois Xi Jinping. Ce dernier a confié que les réformes actuelles seront «les plus importantes depuis celles de Deng Xiaoping, en 1978» - qui ont introduit le capitalisme dans l'empire du Milieu.

«Xi Jinping dit en substance que ceux qui s'opposeraient aux réformes auraient la visite des enquêteurs anticorruption», précise M. Saint-Jacques, qui a occupé des postes en Chine depuis 30 ans. «L'ampleur de la campagne contre la corruption nous surprend. Les bureaucrates doivent publier leurs comptes de dépenses sur l'internet. [...] L'industrie des banquets a chuté de 40%. Le président Xi craint beaucoup que le Parti communiste ait la réputation d'enrichir ses membres.»

Au gouverneur général David Johnston, M. Xi a confié que «les réformes sont plus difficiles qu'en 1978, parce qu'il y avait alors un consensus contre la pauvreté, alors que maintenant, il y a des chasses gardées», précise M. Saint-Jacques. «Le premier ministre Li Keqiang a lui aussi fait allusion aux chasses gardées dans un discours, en mars. Le gouverneur général a demandé au président ce qui le tient éveillé la nuit. Il a répondu que c'était le problème de la disparité entre les campagnes et les villes, et au sein des villes. Il craint que ça crée des tensions.»

Les réformes en question visent à faciliter l'accès aux services sociaux urbains pour les campagnards qui s'installent en ville et à enrayer le déclin de la population. En effet, depuis deux ans, la population active diminue en Chine. La politique de l'enfant unique a été assouplie et l'âge de la retraite - 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes - sera revu à la hausse au cours des prochaines années, selon M. Saint-Jacques, «ce qui crée beaucoup de controverses».

Réduction de la pollution

Pour compliquer le tout, le président Xi a créé d'immenses attentes sur le plan de la réduction de la pollution. «Pékin, c'est comme Montréal aujourd'hui [vendredi], en remplaçant la neige par la suie. Xi Jinping s'est promené dans un hutong, un quartier traditionnel de Pékin, sans masque il y a quelques semaines, un jour de forte pollution. Les gens ont dit qu'il respirait le même air qu'eux. Depuis un an et demi, les plaintes contre la pollution ne sont plus censurées ou découragées. Ça a créé beaucoup d'anxiété, mais il sera très difficile de répondre aux attentes, parce que dans le meilleur des scénarios, il faudra au moins 10 ans pour régler le problème.»

Et les droits de l'homme? «Je ne pense pas que ça change beaucoup. J'ai été au Xinjiang [où il y a beaucoup de tensions avec la population musulmane] et au Tibet, et je crois que la situation est meilleure au Tibet. Mais je pense qu'il y a de l'espoir avec les réformes des tribunaux, qui pourraient les rendre plus indépendants du pouvoir.»

En janvier, M. Saint-Jacques a croisé le fer avec le gouvernement chinois en publiant, sur le compte de microblogue Sina Weibo de l'ambassade, qui a 500 000 abonnés, un communiqué dénonçant l'emprisonnement de cinq dissidents. «Au bout d'une heure, nous avons reçu un coup de fil, dit-il. Soit nous enlevions le document de notre compte, soit le compte était fermé.» L'ambassade a retiré le communiqué en question.