La tension est descendue d'un cran en Thaïlande avec l'annonce par les manifestants de la fin de leur opération «blocage de Bangkok». Mais la crise n'est pas finie pour autant, prédisent les analystes.

Cette annonce surprise, vendredi soir, du retrait des barricades de plusieurs carrefours centraux de Bangkok a fait naître l'espoir de la fin des violences de rue qui ont fait 23 morts et des centaines de blessés ces dernières semaines.

Les tirs et jets de grenades sur les campements des manifestants, principalement la nuit, étaient devenus quasi quotidiens.

S'ils ont promis de démonter leurs tentes lundi, pour ne plus garder qu'un seul camp dans le parc Lumpini, au coeur de la capitale, les manifestants continuent de réclamer le départ de la première ministre Yingluck Shinawatra.

Et si la pression de la rue se relâche, la chef du gouvernement reste sous la menace de la commission anticorruption, qui pourrait lui valoir son fauteuil et une privation de vie politique pendant cinq ans.

«Les manifestants tout seuls ne réussiraient jamais à faire partir Yingluck de son poste. Seuls les tribunaux ou un coup d'État militaire le pourraient», analyse Paul Chambers, de l'université de Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande.

«Le plus probable, c'est qu'une intervention judiciaire fera tomber Yingluck et cela arrivera sans doute en mars», présage-t-il, sans exclure la possibilité d'un coup d'État militaire.

Le meneur des manifestants, Suthep Thaugsuban, a annoncé vendredi soir la fin du blocage de Bangkok. Mais ce mouvement de retrait n'est pas un aveu de faiblesse, affirme son porte-parole Akanat Promphan: «Notre blocage de Bangkok a été un succès. Le gouvernement est désormais en panique et nous avons le soutien des masses», assure-t-il à l'AFP.

Cela «ne signifie pas forcément la fin des manifestations ou un revers pour les manifestants», qui continuent à se mobiliser pour faire chuter Yingluck, estime aussi Thitinan Pongsudhirak, de l'université Chulalongkorn de Bangkok.

«Le gouvernement est affaibli, mais les manifestants n'ont pas atteint leur but», juge plus durement le spécialiste de la Thaïlande David Streckfuss.

«Pas mordu à l'hameçon»

«Depuis le début, ils avaient deux stratégies: soit un soulèvement généralisé soit un coup d'État qui leur aurait donné voix au chapitre avec le gouvernement militaire qui aurait suivi. Mais les militaires n'ont pas mordu à l'hameçon», ajoute-t-il.

Le puissant chef de l'armée de terre, le général Prayut Chan-O-Cha, a en effet mis en garde cette semaine contre un risque de «guerre civile» si les deux parties ne donnaient pas de signe d'accalmie.

Autre facteur ayant pu motiver l'annonce de retrait des manifestants: la difficulté à motiver les troupes au bout de quatre mois. De dizaines, voire centaines, de milliers de manifestants en décembre 2013, ceux-ci n'étaient plus que quelques milliers aux réunions tenues chaque soir.

Les manifestants n'ont cependant pas renoncé à faire plier Yingluck, assimilée à la marionnette de son frère Thaksin Shinawatra, qui l'a précédée dans ses fonctions avant d'être victime d'un coup d'État en 2006 et de choisir l'exil, après une condamnation pour malversations qu'il estime politique.

L'opposition, qui n'a pas remporté d'élections générales depuis vingt ans, jure de lutter contre la corruption généralisée mise en place selon elle par le clan Shinawatra.

Elle réclame pour cela le remplacement du gouvernement par un «conseil du peuple», non élu, et a fortement troublé les législatives du 2 février. Des élections partielles sont prévues dimanche dans cinq provinces, mais le vote reste à organiser dans de nombreuses autres régions.

Au coeur de la crise, selon de nombreux analystes, se trouve la lutte pour le pouvoir, quand viendra le moment de la succession du roi Bhumibol, 86 ans.

Cela expliquerait en grande partie la bataille rangée ces dernières années entre l'élite royaliste, soutenue par l'appareil judiciaire et l'armée, et le «clan» de Thaksin Shinawatra, milliardaire populiste ayant le soutien des électeurs dans le nord et le nord-est du pays.

D'où le danger si Yingluck était renversée par les élites royalistes: ses partisans prendraient alors la rue, souligne David Streckfuss.