Ils ont le dos en compote et les nerfs à vif.

Pendant deux ans, Azzam et son petit frère, Alam, ont été penchés sur une machine à coudre. Du matin au soir, ils ont assemblé sans s'arrêter des centaines, des milliers de soutiens-gorge, dans un atelier clandestin de New Delhi.

Courbés sur leur ouvrage, sans capacité de fuir, ces enfants de 13 et 10 ans étaient esclaves des temps modernes. Comme 30 millions d'hommes, de femmes et d'enfants dans le monde.

Les chaînes qui reliaient Azzam et Alam à leur machine étaient invisibles. Mais tout les empêchait de quitter l'atelier sombre et mal aéré de la capitale indienne ; les menaces, les coups, leur appartenance à une caste inférieure, les dettes écrasantes contractées par leurs parents auprès de patrons sans scrupules.

Leur pure vulnérabilité.

En Inde, 14 millions d'êtres humains sont asservis par d'autres. C'est près de la moitié des esclaves que compte la planète tout entière. En chiffres absolus, ce géant asiatique figure en tête des pays esclavagistes du monde, selon le premier classement du genre, publié en octobre par l'organisation australienne Walk Free.

Pour ce grand dossier sur l'esclavage, nous vous entraînerons dans ces ateliers où des enfants sont moins bien traités que la marchandise qu'ils fabriquent, mais aussi dans des briqueteries du sud de l'Inde, où des familles ont été arrachées à leurs villages pour être réduites à des années de servitude.

Nous vous convierons ensuite à un voyage à travers les dunes du Sahara, en compagnie des tribus nomades de la Mauritanie. Dans cette vaste contrée du nord-ouest de l'Afrique, des milliers d'hommes et de femmes naissent pour une seule raison : servir leurs maîtres. Leurs maîtres blancs. Les esclaves, eux, ont la peau aussi noire que la nuit du désert.

Ils sont 150 000 à vivre ainsi toute une vie d'esclavage. Un chiffre substantiel, considérant que le pays ne compte que 3,8 millions d'habitants. Autrement dit, 4 % des Mauritaniens sont esclaves. En termes de proportion, le pays se classe ainsi au tout premier rang du classement de Walk Free.

Pour clore ce dossier, nous vous entraînerons dans les plaines de l'ouest du Népal, pays classé au cinquième rang des nations esclavagistes, en proportion. Là-bas, des villageois se rassemblent une fois l'an, à l'occasion d'un festival, pour faire le commerce d'enfants de 6 ou 7 ans.

C'est ce qu'on appelle le système des Kamalari. Poussés par la pauvreté, des milliers de parents népalais vendent leurs enfants à des familles de castes supérieures, espérant leur procurer un meilleur avenir. Trop souvent, ils leur offrent plutôt une vie de corvées, de maltraitance et de soumission.

En juillet 2013, le gouvernement népalais a réitéré l'abolition du système de Kamalari. La pratique y était pourtant déjà interdite depuis 2000. Tout comme en Inde, où la « servitude pour dettes » est illégale depuis 1976. En Mauritanie, l'esclavage a été aboli à trois reprises depuis un siècle. L'État en a même fait un crime passible de 10 ans de prison en 2007.

Pourtant, dans ces trois pays comme ailleurs, les pratiques esclavagistes persistent largement. À cause du manque de moyens, de ressources, de volonté politique. Les lois existent bel et bien sur papier, mais sont rarement mises en oeuvre.

Alors, partout, des gens se lèvent pour lutter contre le pire des crimes. En Mauritanie, nous vous raconterons l'histoire poignante d'un homme qui s'est battu pendant 10 ans pour libérer sa soeur esclave. Au Népal, celle d'une Québécoise qui s'est exilée au bout du monde pour aider des Kamalari à s'affranchir.

Pas besoin d'aller si loin pour lutter contre l'esclavage, souligne toutefois Kailash Satyarthi, un militant indien qui a dirigé l'opération de sauvetage des frères Azzam et Alam dans l'atelier clandestin de New Delhi. « Ces enfants fabriquaient des vêtements vendus dans les grands magasins de Londres, Paris, Toronto. » Aux consommateurs de s'informer, dit-il. Et de faire les bons choix.