Ses adversaires politiques n'ont pas manqué de critiquer sa gestion de la crise. Lui-même a profité de l'occasion pour distribuer des blâmes à certains opposants et se présenter comme l'homme de la situation. Pour le président philippin Benigno Aquino III, le typhon dévastateur Haiyan risque de devenir le test ultime, l'épreuve qui déterminera comment son mandat va passer à l'histoire.

«Je pense que ce sera un tournant dans sa présidence», affirme le professeur Dominique Caouette, directeur du Centre d'études de l'Asie de l'Est à l'Université de Montréal.

«Il n'avait pas eu de crise majeure à affronter jusqu'ici. La seule crise qu'il avait connue, c'était une prise d'otage et, récemment, un tremblement de terre. Le véritable test, c'est maintenant. Est-ce qu'il va être capable d'être à la hauteur de la situation? Ce n'est pas évident. Il n'a jamais eu à se prouver», poursuit le chercheur.

«Ça peut aller d'un côté ou de l'autre. Ses opposants vont certainement essayer d'utiliser les critiques contre lui. Mais il se peut qu'on découvre un homme d'État capable de rallier les gens. Les gens cherchent. Aux Philippines, il y a une tradition messianique qui trouve ses racines dans le catholicisme dominant. On cherche le sauveur», dit-il.

Un président «fractionnel»

Bien conscients de l'impact qu'aura le drame sur la suite du mandat d'Aquino, les médias locaux analysent à la loupe la moindre action ou déclaration du président depuis le typhon.

À Manille, un chroniqueur du quotidien Daily Tribune, traditionnellement très critique à l'endroit de la présidence, a écrit qu'Aquino a «dévoilé» sa vraie nature en se montrant «égoïste, insensible, non sincère, fractionnel et vindicatif» dans le cadre de la crise actuelle.

Le qualificatif «fractionnel» fait référence aux critiques lancées de façon peu subtile par Aquino la semaine dernière devant plusieurs médias. En visite dans la ville de Guiuan, où les dommages ont été importants mais les pertes humaines bien moindres qu'à Tacloban, M. Aquino a félicité les autorités locales d'avoir mis en place un bon plan d'évacuation, qui «contrastait» avec ce qui s'est fait ailleurs. Une critique à peine voilée des autorités locales de Tacloban.

Il faut dire que la famille Aquino ne porte pas dans son coeur le maire de Tacloban, Alfred Romualdez. Ce dernier est le neveu d'Imelda Marcos, la veuve de l'ex-dictateur Ferdinand Marcos. Bien que les faits n'aient jamais été prouvés, la famille Aquino accuse toujours le clan Marcos d'avoir fait assassiner en 1983 le père du président actuel, Benigno Aquino Jr, une figure de proue de l'opposition à l'époque. La famille Romualdez-Marcos domine la politique locale depuis des décennies à Tacloban.

Le président a fait campagne sans succès contre Romualdez lors du dernier scrutin municipal.

La semaine dernière, lorsque le Wall Street Journal l'a interrogé sur la visite du président venu suivre les opérations de secours dans sa ville, le maire était loin de se confondre en remerciements.

«Il y a encore beaucoup de choses qui doivent être faites. J'espère que sa présence va aider, mais d'après ce que je vois, nous avons vraiment besoin de plus de gens sur le terrain [...] Il devrait envoyer plus de soldats ici pour ramasser les nombreux, nombreux cadavres. Cela fait déjà huit jours», avait-il répondu.

Mais le président Aquino, qui a fait campagne sur le thème de la lutte contre la corruption et la pauvreté, conserve toujours de solides appuis aux Philippines. Il bénéficie aussi de l'aura de ses parents. Celle de son père assassiné et de sa mère devenue présidente du pays après la chute de Marcos.

L'ancien président de l'Association philippine de Montréal et ses banlieues et fondateur du périodique montréalais Filipino Star, Burt Abiera, croit que le président fait actuellement tout ce qu'il peut pour son pays et qu'il tirera des gains politiques de son dévouement.

«Oui, j'ai entendu des critiques de gens qui ne sont pas satisfaits de la réponse du gouvernement. Mais en politique, on ne peut jamais plaire à tout le monde. Il fait de son mieux. Pour cette situation, nous ne pouvons nous en remettre à personne sauf au président», affirme celui qui dit avoir lui-même étudié avec M. Aquino à l'université.

«Après la crise, il va en sortir plus fort, car le monde entier envoie son aide aux Philippines actuellement et lui reste sur le terrain à coordonner tout», ajoute-t-il.

Cap sur la reconstruction

Nourrir, abreuver et soigner les sinistrés n'est pas tout. Une fois l'aide d'urgence acheminée, il restera des centaines de milliers de déplacés à prendre en charge, une économie à redémarrer et une région complète à reconstruire. C'est à cela que se prépare le Centre d'étude et de coopération internationale (CECI), une ONG québécoise qui entrera en scène d'ici le mois de décembre.

«Une fois les gens sortis des décombres, le plus gros reste à faire», souligne France-Isabelle Langlois, porte-parole de l'organisme.

«Ce qu'on fait, c'est de la reconstruction. S'assurer que les gens ont un logement, même temporaire. Distribuer des trousses d'hygiène, des ustensiles, des couvertures, de l'eau et des produits pour assainir l'eau. Et ensuite, travailler avec la population et les autorités locales pour que les gens recouvrent rapidement les moyens de subvenir à leurs besoins. Nous avons identifié des familles de pêcheurs, de fermiers, ou des mères de famille qui sont des petites commerçantes. Nous allons travailler pour qu'elles puissent recommencer à pêcher, cultiver ou revendre rapidement», explique Mme Langlois.

Les partenaires locaux du CECI sur le terrain ont déjà listé les endroits où l'organisme pourra être le plus utile, à l'extérieur des grands centres où beaucoup d'organisations sont déjà présentes.

«Notre partenaire sur place estime que dans le nord de Cebu et dans certaines villes de Leyte, nous allons pouvoir venir en aide à environ 6000 familles», affirme la porte-parole.

Un des défis de la reconstruction est la difficulté d'amasser des fonds une fois que l'actualité est passée à autre chose et que les images de sinistrés dans les décombres ont disparu des médias.

«C'est beaucoup plus difficile, mais on y parvient quand même, explique Mme Langlois. Nous avons nos réseaux et nous avons déjà lancé des appels auprès du gouvernement, des communautés religieuses, des entreprises et du public.»