Le Pakistan a annoncé dimanche que l'ancien président Pervez Musharraf serait jugé pour trahison, crime passible de la peine de mort ou de la prison à vie, une première dans ce pays à l'histoire tourmentée.

Pervez Musharraf sera traduit en justice pour avoir imposé l'état d'urgence en 2007 alors que les juges contestaient son pouvoir, a ajouté le ministre de l'Intérieur, Chaudhry Nisar Ali Khan.

Cette annonce surprise sonne comme un coup de tonnerre dans un pays qui a connu plusieurs coups d'État militaires, avant la fragile stabilisation démocratique de ces cinq dernières années, mais où jamais un ancien président ou un chef des armées n'a été jugé pour trahison.

Elle pourrait relancer les tensions entre le gouvernement civil de Nawaz Sharif - renversé par le général Musharraf en 1999 alors qu'il était déjà premier ministre - et l'armée. Cette dernière est toujours considérée comme l'institution la plus puissante du pays, qu'elle a dirigé pendant plus de la moitié de son histoire depuis son indépendance en 1947.

Un porte-parole de Pervez Musharraf a estimé que l'annonce de sa traduction en justice pour trahison était motivée par une volonté d'affaiblir l'armée.

«Nous considérons avec une profonde suspicion le moment choisi» pour cette annonce, a déclaré ce porte-parole, Raza Bokhari. «Non seulement nous rejetons avec force ces charges, mais nous les considérons comme une tentative malveillante d'affaiblir l'armée pakistanaise», a-t-il dit.

M. Bokhari a accusé le gouvernement de Nawaz Sharif, qui souhaite ouvrir des pourparlers de paix avec les talibans pakistanais, d'avoir «de la sympathie pour les talibans».

Pervez Musharraf, 70 ans, avait dirigé le Pakistan de son coup d'État de 1999 à sa destitution en août 2008, suivie de son départ du pays. Il était revenu d'exil en mars dernier, mais avait vite été rattrapé par la justice.

L'annonce de dimanche n'en reste pas moins inattendue, car les nuages judiciaires qui s'étaient amoncelés au-dessus de Pervez Musharraf semblaient se dissiper dernièrement, notamment avec sa remise en liberté conditionnelle.

«Suivant le jugement de la Cour suprême et le rapport d'un comité d'enquête, il a été décidé d'engager contre le général Pervez Musharraf les procédures (pour trahison) liées à l'article 6 de la Constitution», a annoncé le ministre Chaudhry Nisar Ali Khan, lors d'une conférence de presse retransmise en direct à la télévision.

«C'est la première fois dans l'histoire du Pakistan» qu'un ancien chef des armées sera jugé pour trahison, a souligné M. Khan. «Cette décision a été prise dans l'intérêt national», a-t-il assuré, en démentant toute volonté de revanche de M. Sharif envers Pervez Musharraf, qui l'avait déposé en 1999.

Il a ajouté que le chef de la Cour suprême recevrait lundi une lettre du gouvernement lui demandant de mettre en place un tribunal mené par trois juges pour entamer cette procédure, et que le gouvernement nommerait dans la même journée un procureur spécial.

«Cette décision ne nous inquiète pas. Nous ferons face à cette affaire comme aux autres, dans lesquelles nous avons été blanchis», a réagi Afshan Adil, un des avocats de Pervez Musharraf, en estimant que c'était au gouvernement fédéral, et non à la Cour suprême, de nommer le tribunal dans un tel cas.

Pervez Musharraf avait mis fin à un exil volontaire de plus de quatre ans en mars dernier, dans l'espoir de participer aux élections générales de mai et de, disait-il, «sauver» le Pakistan de la crise économique et de l'insécurité alimentée notamment par les attentats des rebelles talibans.

Mais il avait été rapidement rattrapé par la justice qui l'a assigné à résidence dans sa luxueuse villa de la capitale pour différentes affaires, dont le meurtre de son ancienne rivale Benazir Bhutto en 2007 et le renvoi unilatéral de juges la même année lorsqu'il avait imposé l'état d'urgence.

La semaine dernière, il était toutefois redevenu un «homme libre» en obtenant la libération conditionnelle dans la dernière affaire pour laquelle il était encore assigné à résidence : l'assaut sanglant qu'il avait ordonné contre des islamistes retranchés dans la mosquée Rouge d'Islamabad en 2007.

Cette victoire avait nourri les rumeurs d'un prochain arrangement avec les autorités pour lui permettre de quitter le pays. Mais son nom restait inscrit sur la liste des personnalités interdites de séjour à l'étranger, et Pervez Musharraf avait demandé aux tribunaux de le retirer afin de pouvoir se rendre au chevet de sa mère malade, à Dubaï. Une décision judiciaire concernant cette demande était attendue lundi.

Pour l'analyste politique pakistanais Hasan Askari, très critique envers l'annonce de dimanche, le gouvernement cherche avant tout à détourner l'attention et à faire oublier ses «échecs» économiques et sécuritaires. Une stratégie qu'il juge «contre-productive» et vouée à l'échec, car «non crédible», en plus des risques de tensions entre civils et militaires qu'elle risque d'engendrer.