Jake Odton n'arrive plus à dormir. Dès qu'il ferme les yeux, le jeune homme de 21 ans craint de voir surgir à nouveau les monstrueuses vagues du typhon Haiyan, qui ont tué sept membres de sa famille et sont passées à un cheveu de l'emporter lui aussi.

«Je suis si fatigué, mais je ne peux pas dormir à cause du typhon», répète-t-il d'un ton éteint, les yeux fixant le vide.

Le jeune caissier de supermarché du village de pêcheurs San José, près de Tacloban, est le seul survivant de son foyer. Ses frères, son père, ses grands-parents sont morts lorsque l'eau a envahi leur demeure située près de la côte, vendredi dernier. Le village de 200 âmes a été entièrement détruit. La majorité des voisins de la famille Odton sont morts aussi.

«Il y avait environ 15 pieds d'eau. J'ai grimpé sur le toit de la maison, mais le vent était beaucoup trop fort. Je n'arrivais pas à tenir, mais j'ai pu attraper le sommet d'un bananier», raconte-t-il.

Ses maigres bras se sont accrochés désespérément à l'arbre pendant trois heures, alors que les éléments se déchaînaient autour de lui. Une fois la météo calmée, il a récupéré quelques vêtements, des sandales et un sac à dos. Une fois ses effets séchés au soleil, il a pris la route. Il erre depuis, à la recherche d'eau potable et des maigres vivres qu'il arrive à quémander ou à récupérer dans les ruines.

Il a marché trois heures pour se rendre à Tacloban, où il dort dans un camp improvisé pour sinistrés. Dans la chaleur écrasante, il est constamment à court d'eau. La distribution de l'aide d'urgence est loin de suffire aux centaines de milliers de déplacés comme lui.

Visiblement sous le choc, il ne montre aucune émotion en évoquant la mort de ses proches. Le seul sujet qui revient constamment dans sa bouche est l'eau et la nourriture. Et sa mère. Elle n'habitait plus avec la famille. Installée à Manille, elle a échappé à l'hécatombe. Jake aimerait la contacter pour lui dire qu'il est toujours vivant et tenter d'aller la rejoindre dans la capitale. Mais les communications sont toujours très difficiles dans la région sinistrée.

Les rares téléphones fonctionnels installés par les secouristes à l'intention de la population sont pris d'assaut dès le lever du soleil par des centaines de personnes qui font la file pendant des heures sous un soleil de plomb.

Rationnel, le jeune homme refuse pour l'instant de prendre une journée pour obtenir un appel. Il est en mode survie, et ne veut pas dévier de sa mission première. Il reprend la route et répète la même question, qu'il lance dès qu'il croise un regard accueillant: «Avez-vous de l'eau?»