Dans un appel publié mercredi à la une, un journal chinois a demandé à la police de libérer l'un de ses journalistes détenu après un article controversé, dans un rare défi aux autorités de la part d'un média.

Basé dans la métropole méridionale de Canton, le quotidien populaire Xinkuaibao a affiché en titre gras : «SVP libérez notre homme».

Reporter employé par le journal, Chen Yongzhou a été interpellé vendredi à Canton par la police de la ville de Changsha (centre), soupçonné d'avoir «porté atteinte à la réputation d'une entreprise».

Le journaliste avait rapporté des «problèmes financiers» touchant Zoomlion, une importante société d'ingénierie cotée aux bourses de Hong Kong et de Shenzhen, avec une valorisation boursière dépassant 8 milliards de dollars.

Ce géant, dont l'État détient 20 %, représente une partie non négligeable des revenus fiscaux de Changsha, capitale de la province du Hunan.

«Nous sommes un petit journal, mais nous avons des tripes», a écrit dans un éditorial l'équipe éditoriale du Xinkuaibao, en se disant «désolée» de ne pas avoir pris la parole plus tôt, par crainte de représailles contre le journaliste.

Celui-ci a accusé Zoomlion d'avoir publié des bilans comptables frauduleux, incluant une surestimation des bénéfices, dans un message publié sur le compte de microblogue du quotidien.

La police est également à la recherche du responsable des pages économiques du journal, obligé de «se cacher» depuis plusieurs jours, a précisé le Xinkuaibo.

En Chine, les médias sont étroitement contrôlés par le gouvernement et il est très rare qu'un organe de presse se confronte directement aux autorités.

«Nous avions toujours pensé que tant que nous travaillerions de façon responsable, il n'y aurait pas de problème», a ajouté la rédaction en chef du Xinkuaibo, en précisant avoir vérifié l'exactitude des informations de Chen.

«Et même s'il y avait un problème... nous aurions pu le régler en justice et, si nous avions été reconnus en tort, nous aurions pu payer des dommages-intérêts adéquats, même au prix de notre fermeture», a poursuivi l'éditorial. «Mais les faits montrent que nous étions trop naïfs».

La détention de Chen était mercredi l'un des sujets les plus débattus sur l'internet en Chine et les services de la censure sont entrés en action, effaçant l'éditorial des principaux sites d'information, afin d'en limiter l'impact.

Yu Jianrong, un blogueur très suivi, a qualifié l'arrestation du journaliste d'«abus des pouvoirs publics».

Un autre internaute a suggéré que les employés du journal du soir de la télévision officielle CCTV, pilier de la propagande du régime communiste, soient eux aussi interpellés «car ils confectionnent chaque jour de fausses informations».

En août dernier, un autre journaliste du Xinkuaibo, nommé Liu Hu, avait «été placé en état d'arrestation selon la loi, pour avoir inventé et colporté des rumeurs».

Ce reporter avait accusé Ma Zhengqi, un ancien vice-maire de la métropole de Chongqing (sud-ouest), d'avoir provoqué des pertes de dizaines de millions de yuans (des millions de dollars) lors de la restructuration d'une entreprise publique de la ville.

Ma était ensuite devenu directeur adjoint de l'Administration d'État pour l'industrie et le commerce, un poste qu'il occupe actuellement.

Chongqing a été dirigée par le dirigeant déchu Bo Xilai, ex-membre du bureau politique du Parti communiste chinois, condamné à la prison à vie le mois dernier, notamment pour corruption.