Les deux derniers hauts dirigeants Khmers rouges vivants ont eu, individuellement, un rôle «primordial» au sein d'un régime ayant conduit à la mort de deux millions de Cambodgiens, a estimé jeudi le parquet, balayant leur défense consistant à plaider l'ignorance.

«Les preuves montrent que Nuon Chea et Khieu Samphan ont chacun joué un rôle unique et primordial dans une entreprise criminelle qui a persécuté, torturé et tué leurs concitoyens», a lancé la co-procureur Chea Leang dans son réquisitoire.

Plus hauts dirigeants après Pol Pot, l'ancien idéologue du régime Nuon Chea, 87 ans, et l'ancien chef de l'État du «Kampuchéa démocratique» Khieu Samphan, 82 ans, sont poursuivis pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Nuon Chea n'est pas venu jeudi à l'audience, arguant de soucis de santé.

Alors que les accusés assurent qu'ils n'étaient pas au courant des tortures, exécutions sommaires et morts de faim survenues entre 1975 et 1979, la représentante du parquet a balayé cette stratégie comme un «mensonge».

Elle a insisté sur le fait que «les crimes n'étaient pas fortuits, ils étaient orchestrés» au plus haut sommet de l'État et non pas le fait de petits chefs isolés.

Chea Leang a longuement parlé «des transferts forcés de population», qui faisaient partie de la stratégie paranoïaque des dirigeants Khmers rouges visant à libérer le pays de ses «ennemis», incarnés notamment par la population citadine, éduquée.

Elle a accusé Nuon Chea de «mentir» quand il dit de ne pas avoir su le but de l'évacuation de Phnom Penh, vidée de ses deux millions d'habitants en quelques jours en avril 1975.

«C'était un acte punitif contre des gens vus comme des ennemis» du nouveau régime khmer rouge, a-t-elle insisté, documents de propagande de l'époque à l'appui.

Est aussi ressurgi à l'audience un télégramme diplomatique de l'ambassadeur de France, pris au piège de l'entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh en avril 1975.

«Ici, même les hommes pleurent»

Il dit son désespoir face aux menaces des Khmers rouges pour que leur soient livrés les Cambodgiens réfugiés par centaines dans l'ambassade.

«Ici, même les hommes pleurent. Hier, un petit garçon est né à l'ambassade. Sa mère doit partir aujourd'hui», embarquée par les Khmers rouges, écrit l'ambassadeur dans ce télégramme lu à l'audience par Chea Leang.

«Le petit garçon est aujourd'hui mon fils. Je l'ai adopté», ajoute le diplomate, contraint de livrer des personnalités ayant demandé l'asile à la France comme Ung Bun Lor, président de l'Assemblée nationale.

Le procès commencé en 2011 a été découpé en segments de crainte de voir mourir les accusés, octogénaires, près de quarante ans après les faits.

Et ce premier «mini-procès» se concentre sur les évacuations forcées des villes, notamment celle de la capitale, dans le cadre de l'utopie marxiste des Khmers rouges de créer une société agraire sans monnaie ni citadins.

Etayant ses accusations de crimes contre l'humanité, la représentante du parquet a rappelé les chiffres avancés par les historiens concernant l'évacuation forcée de Phnom Penh: 20 000 morts, dont la moitié d'épuisement sur les routes et la moitié exécutés, certains juste parce qu'ils ne faisaient pas leur baluchon assez vite.

Elle a aussi cité des documents de l'époque montrant que les hauts dirigeants savaient que les régions du nord-ouest (vers lesquelles étaient envoyés les citadins, ce «peuple nouveau» à rééduquer ou éliminer) ne pouvaient pas nourrir autant de bouches.

Après les conclusions des parties civiles et les réquisitoires, qui devraient s'achever lundi prochain sur les peines requises, sont attendues la semaine prochaine les plaidoiries de la défense, jusqu'au 31 octobre.

Le verdict devrait ensuite être rendu au premier semestre 2014.

Le procès comptait quatre accusés au début, mais l'ancien ministre des Affaires étrangères Ieng Sary est mort en mars, à 87 ans, et sa femme, l'ex-ministre des Affaires sociales Ieng Thirith, a été libérée pour démence.

Depuis sa création en 2006, le tribunal n'a rendu qu'un seul verdict: la perpétuité pour «Douch», chef de la prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, où 15 000 personnes ont été torturées avant d'être exécutées.