Les jeunes Cambodgiens n'ont pas vécu le régime khmer rouge. Beaucoup ne sont donc pas convaincus par l'insistance des partis à remettre sur la table cette page tragique de l'Histoire avant les élections de dimanche qu'ils voudraient voir centrées sur l'avenir.

Le premier ministre Hun Sen au pouvoir depuis 28 ans, lui-même ancien Khmer rouge qui avait fait défection, exploite depuis longtemps cette période noire du royaume -et sa participation personnelle à la libération du pays- pour entretenir sa popularité.

Mais quelque 37% des 9,6 millions d'électeurs appelés aux urnes aux législatives sont âgés de 18 à 30 ans, selon les chiffres officiels.

Ils n'ont donc aucun souvenir direct d'un régime qui a fait quelque deux millions de morts entre 1975 et 1979. Et ne connaissent que partiellement les réalités des exécutions, du travail forcé ou de l'évacuation des villes, même si la période est enseignée à l'école depuis 2007.

«Je suppose que ça s'est produit, mais ce n'est pas très clair pour moi», commente Try Mouy Hon, étudiante de 21 ans qui votera pour la première fois.

«Ils prétendent tout le temps que le Cambodge est une démocratie. Mais ils disent que si le parti au pouvoir perd, il y aura la guerre civile. Un bon dirigeant ne dit pas ça», poursuit-elle, doutant que Hun Sen tire profit dans les urnes d'une telle stratégie. «Cela le discrédite».

«La corruption est le principal problème pour moi, comme pour la plupart des jeunes», insiste-t-elle, qui réclament également un meilleur système éducatif.

D'autres rêvent ouvertement de tourner définitivement la page.

«C'était difficile pour la population de vivre à cette époque (des Khmers rouges) mais nous devrions l'oublier. Nous devons développer notre pays, pas vivre avec des émotions négatives», estime Chhim Vitadane, 25 ans.

Youk Chhang, directeur du Centre de documentation du Cambodge spécialiste des Khmers rouges, constate de facto que les jeunes «ne s'intéressent plus» à cette rhétorique.

Et les candidats sont en train d'en prendre conscience. «Dans les cinq prochaines années, les hommes politiques réaliseront que ce n'est plus un moyen de gagner des voix».

En attendant, le Parti du peuple cambodgien (CPP) de Hun Sen a mis sans relâche cette période de l'histoire du royaume au coeur de sa campagne, mettant en garde contre un retour à la guerre civile en cas de victoire de l'opposition et faisant adopter en urgence une loi pour interdire le négationnisme des crimes khmers rouges.

Les Cambodgiens soutiennent Hun Sen et le CPP parce qu'ils «nous considèrent comme le parti qui a libéré leurs vies des griffes du monstre, le régime khmer rouge», justifie l'un de ses députés, Chheang Vun.

Mais le parti n'est pas le seul à avoir eu recours aux troubles politiques des dernières décennies pour doper l'électorat, relève Youk Chhang, qui dénonce la politisation de ces souffrances «par tous les partis politiques».

Ainsi, le principal parti d'opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), a joué la carte nationaliste en dénonçant les liens de Hun Sen avec le Vietnam voisin, qui a libéré le pays des Khmers rouges mais reste détesté par beaucoup de Cambodgiens.

Galvanisée par le retour d'exil à une semaine du scrutin de son leader Sam Rainsy, le CNRP assure avoir abandonné cette approche pour se concentrer sur l'augmentation des salaires des fonctionnaires et la lutte contre la corruption.

«Les jeunes électeurs n'ont plus vraiment d'intérêt pour la période khmer rouge», admet Kem Monovithya, une responsable du CNRP. «Ce qui les intéresse, c'est aujourd'hui et demain. Ils s'intéressent à un parti et à des candidats qui parlent de leur avenir».

Symbole des préoccupations de cette jeune génération, les discussions politiques, en particulier en faveur de l'opposition, ont explosé sur les réseaux sociaux, note à cet égard Koul Panha, responsable de l'organisation indépendante COMFREL, qui observe le scrutin.

«Cela pourrait faire une différence. Cela apporte une nouvelle dynamique aux élections».