Désespéré, un producteur pakistanais d'électricité au bord du gouffre en appelle maintenant à la conscience religieuse de ses clients musulmans pour mettre fin aux vols de courant à grande échelle devenus un obstacle majeur pour juguler la crise énergétique dans le pays.

En cette période de ramadan, la compagnie d'électricité de Peshawar (Pesco) a payé des encarts dans les principaux journaux de la grande ville de nord-ouest pour rappeler à la population que pirater un compteur d'électricité, ou ne pas payer ses factures, tenait du péché.

«Jeûnez, payez la zakat (aumône), aidez vos parents, mais faites tout cela grâce à la lumière de l'électricité légale», soulignent les publicités. «Les imams ont décrété que faire de bonnes actions avec la lumière de l'électricité volée était contraire à la charia, la loi islamique, alors cessons de consommer de l'électricité volée et préparons-nous au jour du jugement dernier».

À travers le Pakistan, pays de 180 millions d'habitants confronté à la pire crise énergétique de son histoire, citadins et villageois volent de l'électricité, le plus souvent grâce à un crochet nommé «kunda» relié à un fil branché directement sur les lignes de transmission ce qui permet de contourner les compteurs.

Outre le «kunda», des Pakistanais bloquent par différents moyens les compteurs électriques, ou, plus simplement, soudoient les employés des fournisseurs d'énergie.

À Rawalpindi, de nombreuses familles versent 1000 roupies par mois (10 dollars) aux hommes chargés de lire les compteurs électriques afin que leur facture ne dépasse jamais dix dollars, explique Aftab Ahmed, un citoyen de la ville. «Avant mes factures tournaient autour de 3000 ou 4000 roupies par mois, mais depuis que mon voisin m'a présenté l'employé responsable de la lecture du compteur, mes factures ne dépassent jamais les 700 roupies», se félicite Shafiq Ahmed.

Le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a appelé à une vaste opération contre les «voleurs d'électricité», mais ces derniers travaillent souvent de connivence avec les employés des compagnies d'électricité et passent inaperçus.

Miné par des années de sous-financement de son secteur énergétique et la corruption, le Pakistan importe à grand prix du fioul des pays du Golfe afin d'alimenter ses centrales thermiques et ne parvient pas à répondre à la demande en électricité de sa population galopante.

Du coup, les coupures se généralisent pour atteindre près de 20 heures par jour dans des villages reculés durant les mois d'un été quasi caniculaire. Frustrés par ce service aléatoire, des Pakistanais ont donc décidé de ne plus payer leur facture d'électricité.

La crise énergétique au Pakistan prive d'au moins deux points de PIB la croissance annuelle, les usines devant régulièrement stopper la production pour attendre le retour du courant, ou générer elles-mêmes de l'électricité pour maintenir la machinerie en marche.

Le premier ministre Sharif, élu en mai dernier, a donc fait de la lutte à la crise énergétique la priorité de son gouvernement.

Car la «dette circulaire» accumulée dans le seul secteur énergétique avoisine les cinq milliards de dollars, chiffre Khawaja Mohammad Asif, ministre de l'Eau et de l'Énergie. Cette dette est essentiellement due au fait que le Pakistan vend son électricité à un tarif inférieur à son coût de production, aux pertes sur les lignes de transmission et aux vols à grande échelle.

«Les voleurs pillent environ 30% de la production de notre compagnie», se plaint ainsi un ingénieur à la société d'électricité de Karachi(KESC), mégapole du sud du pays.

Las des coupures de courant, des habitants des zones tribales du nord-ouest et de la province voisine du Khyber Pakhtunkhwa, des régions conservatrices situées à la lisière de l'Afghanistan, considèrent l'accès à l'électricité comme un droit. Et donc le vol comme moralement acceptable.

«Il ne s'agit pas de vol, mais d'un droit», lance Khan Ali, un citoyen de la zone tribale de Mohmand, soulignant le fait qu'une grande partie de l'électricité du pays était produite dans le nord-ouest. «Le reste du pays utilise notre électricité, alors pourquoi devrions-nous la payer?», argue-t-il.

Comme quoi, «le courant ne passe pas» entre la compagnie locale, qui en appelle à dieu, et les habitants de ces régions pourtant conservatrices.