Mamun a été érigé en héros pour avoir secouru des survivants piégés dans les ruines de l'immeuble qui s'est effondré le mois dernier au Bangladesh. Mais aujourd'hui il ne trouve plus le sommeil, hanté par le souvenir d'avoir dû scier la main d'une jeune femme.

«Ma main était pleine de sang à la fin et je n'arrive pas à enlever cette image de ma tête», confie ce secouriste de 22 ans, près d'un mois après la mort de 1127 personnes dans l'effondrement le 24 avril du Rana Plaza, un immeuble de neuf étages à Savar, dans la banlieue de Dacca.

«Quand je vais me coucher, j'ai l'impression d'être dans un lieu sombre dont je ne peux m'enfuir», dit-il, expliquant avoir abandonné l'idée de consulter un psychiatre, faute d'argent.

Le drame du Rana Plaza, le pire dans l'histoire industrielle du pays, se mesure bien sûr en nombre de morts et de blessés. Mais il y a aussi le bilan psychologique: les secouristes qui ont travaillé jour et nuit pendant près de trois semaines dans les ruines se sont heurtés à des scènes insoutenables.

Au deuxième jour des opérations, Mamun, un tailleur à temps partiel, a risqué sa vie en rampant dans un trou pour sauver trois femmes. Au bout du tunnel, il s'est aperçu que la main de l'une d'entre elles était coincée sous le béton et qu'elle bloquait l'accès aux autres victimes.

«Elle me suppliait:  "S'il vous plaît, coupez ma main". Il n'y avait pas d'anesthésiant alors j'ai emprunté à l'armée une scie à métaux».

Des centaines de volontaires, parmi lesquels des étudiants, des marchands ambulants, des mères au foyer et des ouvriers du textile travaillant dans le quartier, n'arrivent pas à endiguer le flot d'images.

Selon l'armée, au moins 2438 personnes, la plupart des ouvrières du textile, ont été sorties vivantes, dont 938 blessées qui ont pour la plupart dû être amputées soit sur place soit à l'hôpital.

L'ampleur du désastre a contraint des élèves en médecine à amputer, en renfort des équipes hospitalières. Parfois, les opérations étaient effectuées sans anesthésiant et l'on pouvait entendre les hurlements de patients à l'agonie autour de l'hôpital Elam, proche du Rana Plaza.

Cet hôpital a indiqué avoir soigné pour traumatisme une soixantaine de volontaires, dont plusieurs étudiants en médecine.

Sushmita Nargis, médecin stagiaire, prend des médicaments contre l'anxiété.

«À un moment, j'avais l'impression que la seule chose qui résonnait dans ma tête, c'était les sirènes d'ambulances. Ça ne s'arrêtait pas», dit-elle à l'AFP.

«Et puis il y avait ces cris déchirants des amputés et de leurs proches... Qu'est-ce qu'on est censé ressentir quand il y a des centaines de patients qui gisent autour de vous, qui pleurent et se tordent de douleur ?»

Parfois munis d'à peine plus que des marteaux ou des pelles, les secouristes ont tenté de sauver le plus de rescapés possible; certains se sont associés pour acheter en commun du matériel de déblaiement plus sophistiqué.

Le gouvernement a rejeté l'offre d'assistance des Nations unies et d'autres pays, laissant l'armée coordonner les opérations de secours.

Au fil des jours, le nombre de survivants a diminué. Ne restaient plus que l'odeur et la vue de corps décomposés.

Même lorsque les volontaires réussissaient à localiser des survivants, ils étaient parfois incapables de les sauver: ils étaient ensevelis trop profondément sous les décombres.

Asma Akter Liza lutte contre les larmes en se rappelant la mort d'une jeune femme.

«Je suis tombée sur une fille qui s'appelait Bakul. Elle m'a tendu la main à travers les gravats. Je lui ai tenu la main pendant des heures en parlant de plein de choses. Elle me disait que j'étais sa soeur. Mais à la fin, on n'a pas réussi à la sauver. Elle était coincée de telle manière que c'était impossible».

«Ses yeux, ses appels à l'aide me hantent tout le temps. Parfois je ne peux pas m'arrêter de pleurer».

Mohammed Badal, un ouvrier du textile de 25 ans qui a sauvé 18 de ses collègues, n'arrive plus à dormir. «Quand je cherche le sommeil, j'entends hurler: " S'il te plaît mon frère, sauve-moi, sauve-moi"».