L'ancien premier ministre Nawaz Sharif se tenait prêt dimanche à former un gouvernement de coalition pour résoudre les énormes problèmes du Pakistan après sa victoire à des législatives historiques marquées par une forte participation malgré les violences éparses.

Ce retour aux affaires stupéfiant pour cet ancien premier ministre âgé de 63 ans, déposé par le coup d'État du général Pervez Musharraf en 1999, reste à confirmer officiellement par la commission électorale, mais ne faisait plus aucun doute d'après les résultats partiels.

Son principal concurrent, le Mouvement pour la Justice (PTI) de l'ex-star du cricket Imran Khan, qui a enthousiasmé les jeunes et les classes moyennes en promettant de mettre fin à la corruption dans le pays, a d'ailleurs concédé sa défaite nationale.

Le Parti du peuple pakistanais (PPP), à la tête de la coalition au pouvoir depuis cinq ans, a connu une débâcle au point d'être presque rayé de la carte politique du pays à l'extérieur de son fief de la province méridionale du Sind.

Ce scrutin est considéré comme historique, car il permettra à un gouvernement civil de passer la main à un autre après avoir terminé un mandat complet de cinq ans, une première dans ce pays à l'histoire jalonnée de coups d'État militaires depuis sa naissance en 1947.

La participation estimée à «près de 60%» par la commission électorale, le taux le plus fort depuis les élections de 1977, montre la volonté de changement et l'attachement au jeu démocratique des Pakistanais qui ont défié les menaces des talibans pour voter.

Des attentats à Karachi (sud), Peshawar (nord-ouest) et dans la province instable du Baloutchistan (sud-ouest) ont d'ailleurs fait 26 morts samedi, portant ainsi à plus de 150 le nombre de personnes tuées dans des violences liées à ces élections au cours du dernier mois.

Flanqué de son frère Shahbaz et de sa famille Maryam, Nawaz Sharif a prononcé dans la nuit de samedi à dimanche un discours de victoire devant ses partisans qui célébraient ardemment la victoire de son parti de la Ligue musulmane (PML-N, centre droit) à Lahore (est).

«Nous devons remercier Dieu d'avoir donné à la PML-N une autre chance de servir le Pakistan... Les résultats continuent de tomber, mais nous avons déjà la confirmation que la PML-N va émerger comme le principal parti», y a-t-il déclaré sur un ton très conciliant, après une campagne plutôt agressive.

Cette annonce a été saluée par des scènes de liesse, avec chants et danses, dans les jardins du très chic quartier général du parti, et dans les rues de la capitale culturelle du pays.

Les défis: économie et talibans

Après le dépouillement de plus de la moitié des bulletins de vote, les chaînes pakistanaises pronostiquaient une récolte de plus de 115 sièges, sur les 272 députés élus directement, pour les troupes de Nawaz Sharif, et l'élection d'une trentaine d'autres pour le PTI, et autant pour le PPP du clan Bhutto.

«J'invite tous les partis à s'asseoir autour d'une table avec moi pour résoudre les problèmes du pays», a lancé M. Sharif qui aura besoin de former une coalition pour diriger le seul pays musulman doté de l'arme nucléaire, confronté à une crise énergétique sans précédent et à la rébellion talibane.

«Si Nawaz Sharif offre rapidement des solutions à ces problèmes, il se tirera d'affaire, sinon il sera confronté à des crises et au feu nourri des critiques», a commenté à l'AFP l'analyste politique Hasan Askari.

Sur le front économique, l'importation de pétrole pour nourrir les centrales électriques du pays, qui ne suffisent d'ailleurs pas à la demande intérieure, creuse la dette du pays et plombe ses réserves de devises étrangères.

La situation est telle que le Pakistan devra demander sous peu un nouveau prêt au Fonds monétaire international (FMI), ont indiqué des analystes à l'AFP, une solution à laquelle s'oppose toutefois Nawaz Sharif.

Côté sécuritaire, Nawaz Sharif hérite d'un pays miné par l'insurrection des talibans pakistanais du TTP et dont la stabilité dépend aussi de la pacification de l'Afghanistan voisin après le retrait des forces de l'OTAN à la fin 2014.

Nawaz Sharif, qui n'a pas les faveurs de la puissante armée pakistanaise, avait déjà ouvert la porte à des négociations avec les talibans du TTP et a même suggéré qu'il mettrait un bémol à la guerre américaine «contre le terrorisme» dans la région.

«Il faudra voir si le gouvernement et l'armée seront au diapason sur ces enjeux importants», a soutenu l'analyste A.H Nayer.

«Le lion»

Nawaz Sharif est un magnat de l'acier considéré comme un bon gestionnaire. Chassé du pouvoir par un coup d'État militaire en 1999, il s'est reconstruit patiemment dans l'opposition avant de prendre sa revanche avec ce scrutin, grâce notamment à ses appuis dans son fief du Pendjab, la province la plus riche et la plus peuplée du pays, où il est surnommé «le lion».

Cet homme rond au crâne dégarni vêtu immanquablement d'un shalwar kameez, l'habit traditionnel composé d'une tunique longue et d'un pantalon ample, est apparu serein et satisfait samedi soir.

Déjà deux fois premier ministre du pays, de 1990 à 1993, puis de 1997 à 1999, Nawaz Sharif n'a pas le verbe facile ou de charisme particulier, mais il compte sur sa précieuse expérience d'homme d'État.

Il est considéré comme un pragmatique par l'Occident, en dépit de ses déclarations hostiles à la guerre menée dans la région par les Américains contre Al-Qaïda et ses alliés talibans.

Lors de son second mandat, Nawaz Sharif avait lancé de grands travaux comme l'autoroute reliant Peshawar (nord-ouest), aux portes de l'Afghanistan, et Lahore (est), capitale de son fief du Pendjab. Surtout, c'est sous son gouvernement que le Pakistan est devenu le seul pays musulman doté de l'arme nucléaire, un fait d'arme populaire dans ce pays très nationaliste.

Destitué en 1999 à la suite d'un putsch du général Pervez Musharraf, Sharif fut placé en résidence surveillée avant de s'exiler en Arabie saoudite.

En novembre 2007, il rentre au Pakistan pour participer aux législatives marquées par l'assassinat de son éternelle rivale civile, Benazir Bhutto. Surfant sur une vague de sympathie après cet attentat, le PPP le coiffe au poteau.

Son PML-N hérite toutefois du gouvernement de la province du Pendjab. A Islamabad, Nawaz Sharif dirige l'opposition nationale, pendant qu'au Pendjab, c'est son frère Shahbaz qui tire les ficelles locales et lance de nombreux projets, alors que le gouvernement central, accusé d'inaction, se débat dans l'impopularité.