Ils sont seize à avoir la licence, mais seuls quatre ont pour l'instant réussi à se lancer : les Birmans ont découvert lundi leurs premiers quotidiens privés, dans un pays où les réformes politiques redessinent chaque jour un peu plus le secteur de l'information.

The Voice, version quotidienne d'un des plus grands magazines du pays, The Union, proche du parti majoritaire, The Golden Fresh Land et The Standard Time sont arrivés dans les kiosques lundi matin, au grand bonheur d'une population de 60 millions d'habitants avide d'une information libérée du joug de la censure.

«Les gens sont contents de lire des quotidiens pour la première fois», a ainsi estimé Phyu Phyu, marchande de journaux à Rangoun. «The Voice Daily a été épuisé très vite», a-t-elle ajouté, décrivant des stands pris d'assaut dès le petit matin.

Certains titres voulaient absolument être présents pour ce premier jour. «Nous voulions faire partie de cette étape historique», a relevé Aung Soe, un responsable de The Voice.

Mais entre faiblesse logistique, inexpérience des rédactions et imprimeries sous-équipées, le défi à relever est immense. «Nous nous sommes préparés pendant six mois pour le quotidien», a-t-il ajouté. «Notre plus grand défi, ce sont les ressources humaines. Nous devrons le surmonter».

Les douze autres élus n'ont de leur côté pas réussi à tenir les délais, comme D-Wave, le journal du parti de l'opposante Aung San Suu Kyi, qui espère publier en juillet.

Et beaucoup s'interrogent sur l'espérance de vie de si nombreux quotidiens concurrents, qui coûtent 200 kyats (moins de 26 cents), dans un des pays les plus pauvres de la planète.

«C'est bien d'avoir beaucoup de journaux, mais nous craignons qu'ils ne soient pas capables de continuer à long terme», a indiqué à l'AFP le vendeur Kalar Lay. «Les gens n'ont pas les moyens de les acheter tous».

«Nous devons attendre de voir comment la population va les accepter», a indiqué de son côté Thiha Saw, de l'hebdomadaire Open News. «Le gouvernement ne peut pas aider le secteur privé parce qu'il est occupé à transformer les médias d'État en service public».

Le gouvernement a en effet annoncé il y a quelques mois une réforme des quotidiens d'État, considérés comme de simples porte-parole du régime et qui sont vendus deux fois moins cher que les privés.

Le quotidien anglophone New Light of Myanmar, modèle d'un journalisme d'un autre âge qui s'est légèrement dépoussiéré ces deux dernières années, a ainsi lancé un appel d'offre pour trouver un partenaire privé, local ou étranger, et devenir un «journal normal».

Le régime militaire avait nationalisé les quotidiens il y a un demi-siècle. Jusqu'à ce lundi, toutes les publications privées étaient hebdomadaires, n'utilisant que leurs sites internet pour satisfaire la soif d'information.

Mais depuis l'autodissolution de la junte en mars 2011, les réformes du nouveau gouvernement se sont étendues au secteur des médias. La censure a été abolie en août dernier, des journalistes emprisonnés ont été libérés. Et des sujets tabous, comme les activités de l'opposante Aung San Suu Kyi, font désormais la Une.

Le Golden Fresh Land a d'ailleurs choisi une photo de l'ancienne prisonnière politique, désormais députée, pour son premier numéro.

Mais malgré ces progrès décrits par Reporters sans frontières comme une «révolution de papier», le pays figure encore, après une remontée de 18 places, au 151e rang sur 179 au classement 2013 de la liberté de la presse de l'organisation.

Et les textes destinés à remplacer les lois liberticides d'hier sont toujours en discussion. Dont un, rédigé par le pouvoir sans concertation, qui a soulevé de vives protestations de la part des professionnels.