Le parti politique de l'opposante birmane Aung San Suu Kyi a ouvert vendredi le premier congrès de son histoire, à deux ans d'élections législatives pour lesquelles il est donné favori sans pour autant que ses rangs soient préparés à assumer le pouvoir.

Quelque 850 délégués de tout le pays se sont réunis dans un restaurant de Rangoun décoré des drapeaux rouges de la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Les débats, qui pourraient être houleux, doivent durer trois jours à l'issue desquels seront désignés les 120 membres du comité central, dont 15 au comité exécutif, derrière la bannière de la lauréate du prix Nobel de la paix, son chef incontestable.

Les analystes soulignent que la Ligue, maintenue par la junte dans la quasi-clandestinité pendant 20 ans, est confrontée depuis la dissolution de celle-ci à une myriade d'enjeux politiques dont elle ignore tout.

«La LND doit consolider son organisation si elle doit former le prochain gouvernement. Je ne pense pas qu'ils disposent de qui que ce soit capable d'assumer ça», a constaté un analyste birman à Rangoun sous couvert de l'anonymat.

Éducation, santé, investissements, politique foncière sont autant de sujets devenus brûlants dans une Birmanie qui s'ouvre à marche forcée.

Suu Kyi et ses compagnons de lutte, dont beaucoup sont des octogénaires déconnectés des réalités de leur pays et qui ont croupi en prison pendant des années, doivent désormais se pencher sur ces questions techniques, tout en s'adaptant à l'échiquier politique tel qu'il s'est ouvert depuis deux ans.

«La LND peut-elle relever le défi? C'est la grande question», a ajouté l'analyste.

La députée, 67 ans, a elle même pris ces derniers mois une nouvelle dimension. Après avoir décidé que son parti devait boycotter les élections de 2010, elle s'est laissée convaincre par les réformes du président Thein Sein et s'est présentée aux partielles de 2012.

Désormais à la tête du premier parti d'opposition parlementaire, elle trône au coeur du jeu politique. Et c'est bien son portrait qui accueillait les congressistes aux côtés de celui de son père, le général Aung San, héros défunt de l'indépendance.

Mais la réussite du congrès, relèvent les observateurs, passera par un renouvellement au sommet du parti. Qualifié par les diplomates de machine «hiérarchique», ce dernier est tenu par des cadres historiques surnommés les «Oncles» et laisse moins de place au débat que ne le suggère son image à l'étranger.

«Les idées nouvelles des jeunes ne sont ni sollicitées ni encouragées et les "Oncles" excluent régulièrement les membres jugés "trop actifs"», relevait en 2008 une note diplomatique de l'ambassade américaine publiée par Wikileaks.

«Ils n'ont pas assez de jeunes», a résumé Pu Zozam, chef du Parti national chin, un des 50 cadres d'autres partis invités au congrès. «Maintenant, ils essayent de bâtir une jeune génération».

Car la LND doit désormais se transformer en machine de pouvoir pour servir le grand dessein de son chef de file. «Nous allons discuter l'avenir de notre parti. Nous allons former ici une organisation efficace», a déclaré à l'AFP Mg Mg Sein, délégué de la commune de Yat Sauk, dans l'État Shan (nord-est).

Mais le congrès n'avait rien de la grand-messe parfaitement huilée et restait vendredi hors d'accès des médias. «On ne savait rien jusqu'à aujourd'hui de ce qui allait se passer», a admis Win Oo, de la division de Sagaing (nord-ouest). «J'espère que les gens sélectionnés représenteront bien les régions».

Suu Kyi elle-même n'était attendue que samedi. La «Dame» de Rangoun n'a pas exclu d'assumer la présidence du pays en cas de victoire aux élections.

Mais mariée à un Britannique aujourd'hui décédé et mère de deux enfants qui disposent de passeports étrangers, elle ne pourra accéder à la magistrature suprême sans faire adopter au préalable une délicate réforme de la constitution.